« Le CEPS est en roue libre, il faut stopper cette machine infernale » - Laurent Filoche, président de l’UDGPO
À la veille de la grande journée de mobilisation du 18 septembre, la tension monte dans le réseau officinal. Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), partage ses inquiétudes. S’il se dit confiant quant au rétablissement du plafond des remises génériques à 40 %, il redoute en revanche l’impact de la baisse massive des prix envisagée par le CEPS. Selon lui, l’addition pourrait atteindre 350 millions d’euros pour le réseau officinal, soit environ 20 000 € par pharmacie.

À la veille de la mobilisation du 18 septembre, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Laurent Filoche : Je suis partagé. Sur le sujet du plafond des remises, je reste optimiste : je suis convaincu que le gouvernement fera marche arrière, soit par une décision politique directe, soit via un amendement dans le prochain PLFSS. L’un ou l’autre est possible et je n’ai pas de doute que nous reviendrons aux 40 %.
En revanche, mon inquiétude est beaucoup plus forte sur le dossier qui sera examiné le 18 septembre par le CEPS. Le document préparatoire, que nous avons pu consulter, prévoit une baisse de 200 millions d’euros sur les prix des génériques. C’est le double de ce qui avait été inscrit dans la dernière LFSS. Et ce sont des baisses qui visent des produits déjà à des prix extrêmement bas. Cela représente un danger majeur pour la pharmacie d’officine.
Vous parlez de baisses « drastiques ». Pouvez-vous donner un exemple ?
L. F. : Prenons l’oméprazole, aujourd’hui vendu autour de 3,80 €. Le CEPS prévoit une nouvelle baisse de 20 %. Comment voulez-vous qu’à ce niveau, un industriel du générique continue de fournir le marché ? Et comment, nous pharmaciens, pourrions-nous encore espérer une marge viable ? Il faut bien comprendre que si l’effet taux du plafonnement des remises a un impact sur nos revenus, le prix facial du médicament est tout aussi déterminant.
Plafonner les remises à 20 % sur des prix massacrés, cela revient à assécher complètement la ressource.
Nous avons déjà des produits qui ne génèrent plus aucune rémunération pour les officines parce qu’ils sont sortis des accords commerciaux. Avec cette logique, le mouvement va s’accélérer.
Pourquoi considérez-vous cette décision comme particulièrement dangereuse ?
L. F. : Parce qu’elle outrepasse le mandat donné par la loi. La LFSS avait fixé une cible de 100 millions d’euros de baisse, ce qui est habituel chaque année. Le CEPS a décidé de passer à 200 millions, soit le double.
C’est une administration en roue libre, sans contre-pouvoir politique, qui prend des décisions d’une gravité extrême pour notre réseau.
Nous avons donc adressé une troisième lettre ouverte, en recommandé, à tous les parlementaires et sénateurs. Nous demandons que le pouvoir politique reprenne la main sur ces agences de l’État. Sans pilotage ministériel, ces décisions technocratiques risquent de briser durablement la chaîne du médicament.
Avez-vous reçu des soutiens concrets ?
L. F. : Oui, les deux premières lettres ont suscité beaucoup de retours : une cinquantaine de députés nous ont répondu par écrit, certains groupes parlementaires également. Il existe un soutien politique réel. Mais, il reste à transformer ce soutien en décisions concrètes, car le calendrier est extrêmement serré : le CEPS veut appliquer ses baisses dès le 1er octobre. Il faut agir vite pour enrayer cette mécanique infernale.
Le gouvernement a fait marche arrière sur la suppression de deux jours fériés. Peut-il aussi reculer sur les génériques ?
L. F. : Sur le plafond des remises, je suis sûr que nous obtiendrons gain de cause. Sur les prix, c’est une autre histoire.
Une fois que le prix d’un médicament est baissé, il ne remonte jamais.
Pour prendre une image : une fois que le dentifrice est sorti du tube, impossible de le remettre dedans ! C’est pour cela que j’insiste sur l’urgence : il faut stopper cette décision avant son application au 1er octobre.
Vous chiffrez l’impact à 350 millions d’euros pour les officines. Comment arrivez-vous à ce calcul ?
L. F. : Nous avons évalué à 50 millions d’euros la perte de marge liée aux baisses de prix, et à 300 millions celle liée au plafonnement des remises. Ensemble, cela fait 350 millions de pertes en année pleine pour le réseau. En moyenne, c’est près de 20000 € par pharmacie. Certaines seront touchées beaucoup plus durement. Le problème, c’est que le CEPS se fonde sur des données déclaratives de remises moyennes, autour de 25 %. Ce qu’il ne voit pas, c’est l’écrêtage.
Quand un pharmacien passe de 40 % de remise à 20 %, la perte est massive, pas marginale. Prenons l’exemple de l’ésoméprazole Biogaran : sur 13 M€ de chiffre d’affaires, la remise moyenne de 25 % correspond à 3,2 M€. Le CEPS pense qu’en plafonnant à 20 %, la perte est de 625 000 €. En réalité, c’est plus d’1,3 M€ qui disparaît, parce que ceux qui étaient à 40 % tombent directement à 20 %. Voilà pourquoi nos chiffres divergent, et pourquoi l’impact réel sera beaucoup plus violent que ce qu’ils annoncent.
Que redoutez-vous si rien n’est fait ?
L. F. : Si cette décision n’est pas stoppée, c’est la double peine : un plafonnement qui réduit nos marges et une baisse des prix qui assèche la ressource. Résultat : 350 millions de pertes pour le réseau, des milliers de pharmacies en difficulté et, surtout, des ruptures massives pour les patients. Nous les subissons déjà au quotidien, et cette politique tarifaire ne fera qu’aggraver la situation.