La réponse de Cyclamed : "La réutilisation des MNU ? Rien n’est prêt, ni techniquement, ni légalement" - interview exclusive

À la suite des déclarations de Catherine Vautrin sur la possible remise en circulation de certains médicaments non utilisés (MNU), Laurent Wilmouth, Directeur Général de Cyclamed, répond sans détour. Traçabilité rompue, cadre légal absent, données incomplètes, gain économique incertain… Pour lui, cette annonce ne résiste pas à l’analyse. Entretien exclusif.

Par Thomas Kassab, publié le 05 août 2025

La réponse de Cyclamed : « La réutilisation des MNU ? Rien n’est prêt, ni techniquement, ni légalement » – interview exclusive

Alors que la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, relance l’idée de réutiliser les médicaments non utilisés (MNU) pour lutter contre le gaspillage, les professionnels de terrain s’inquiètent. Derrière l’annonce, peu de données fiables, de lourds obstacles juridiques… et un risque sanitaire majeur. Entretien avec un pharmacien engagé dans les campagnes de caractérisation menées en 2025, qui remet les faits au centre du débat.

cyclamed

Wilmouth Laurent,
Directeur Général de Cyclamed

« Légalement, le médicament non utilisé est un déchet à incinérer. Il faudrait commencer par changer la loi. »

Ce chiffre de 1,5 milliard d’euros avancé par la Ministre est-il crédible ?

Laurent Wilmouth : Non, car aucune étude ne permet de l’étayer. Ce chiffre circule depuis des années, sans source claire. Pour affirmer un tel montant, il faudrait précisément connaître le contenu des cartons rapportés en pharmacie — ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. On ne peut pas extrapoler une valeur sans données robustes.

Des données concrètes sont-elles enfin disponibles ?

L. W. : En 2025, nous avons mené avec la CNAM et l’ANSM une campagne de caractérisation sur le contenu des réceptacles de collecte Cyclamed sur cinq sites de grossistes-répartiteurs issus d’un échantillonnage statistique validé. On a analysé boîte par boîte, plaquette par plaquette, en notant la spécialité, sa forme, sa date de péremption, son intégrité, le laboratoire, etc. Près de 50 000 données ont été collectées. L’analyse est en cours. Nous devrions avoir des résultats d’ici à la fin de l’année.

« On a retrouvé aucun médicament cher dans les 5 caractérisations réalisées en 2025. »

Peut-on aujourd’hui envisager une remise en circulation de ces médicaments ?

L. W. : Pas sans un bouleversement juridique. Le code de la santé publique impose l’incinération des MNU. C’est la loi. En outre, la majorité des médicaments rapportés arrivent sans boîte ni notice. Ce qui signifie : pas de sérialisation, pas de traçabilité, aucun contrôle possible sur la conservation. C’est une faille majeure dans un système aussi sécurisé que le nôtre.

Ce serait donc un circuit « hors norme » ?

L. W. : Oui, un circuit parallèle, sans aucune des garanties actuelles. La sérialisation permet aujourd’hui de relier une boîte à un patient, et un patient à un lot. Si on remet en circulation une plaquette isolée, sans emballage, que fait-on en cas d’effet indésirable ? Comment remonter à la source ? La traçabilité disparaît totalement. Et je ne parle même pas de l’instabilité potentielle d’un médicament mal stocké.
« Il n’y a pas de pire endroit qu’une salle de bain pour conserver un médicament. »

Certains défendent la réutilisation des médicaments chers. Qu’en pensez-vous ?

L. W. : Aucun médicament onéreux n’a été retrouvé dans les cinq caractérisations menées cette année. Aucun. Cela montre que ces produits-là ne reviennent quasiment jamais en pharmacie. Statistiquement, c’est marginal. Alors, est-ce bien raisonnable de vouloir structurer un dispositif lourd et risqué autour de cette hypothèse ?

Jette-t-on de l’argent « à la poubelle » en incinérant ces MNU ?

L. W. : Non. Cyclamed n’est pas un dispositif de gaspillage. C’est un outil de santé publique. Les médicaments rapportés sont détruits en filière sécurisée, sous responsabilité pharmaceutique, avec valorisation énergétique. Par ailleurs, les Français trient mieux, et les volumes baissent. Il y a 10 ans, par le biais de nos enquêtes au sein des foyers français, on était à 20 000 tonnes les MNU présents dans les foyers. Aujourd’hui, on est tombé sous la barre des 8 000 tonnes. C’est un progrès majeur.
« On prescrit mieux, on vend moins, les patients jettent moins. C’est une victoire collective. »

Avez-vous été consulté par les autorités avant l’annonce ?

L. W. : Non. Comme tout le monde, nous avons découvert l’annonce dans les médias. Il n’y a eu aucune concertation préalable, ni avec Cyclamed, ni avec les pharmaciens, à ma connaissance. Pourtant, nos rapports sont publics. En les lisant, on comprend très vite que les quantités de MNU diminuent et que les pratiques évoluent positivement.

En tant que pharmacien, quel est votre ressenti ?

L. W. : Je suis très attaché à notre haut niveau de sécurité sanitaire. La sérialisation est un système exigeant, mais c’est une fierté nationale. Mettre en place un circuit parallèle sans garantie de conservation, sans traçabilité, sans maîtrise de la qualité, c’est un non-sens sanitaire.
Je ne suis pas opposé à l’innovation. Mais il faut avoir conscience des contraintes. Aujourd’hui, ni techniquement, ni légalement, ni économiquement, nous ne sommes prêts pour un tel changement.