Delphine Chadoutaud (URPS IDF) : « Fermer un jour pour ne pas fermer toujours » - interview exclusive
Alors que la profession pharmaceutique se prépare à une journée de mobilisation exceptionnelle le samedi 16 août, Delphine Chadoutaud, présidente de l’URPS Pharmaciens Île-de-France, revient pour Pharma365 sur les raisons de cette action, ses enjeux profonds, et sa vision d’une profession en quête de reconnaissance et de dignité.

Alors que la tension monte entre les pharmaciens et le gouvernement, une journée nationale de mobilisation est annoncée pour le samedi 16 août. Delphine Chadoutaud, présidente de l’URPS Pharmaciens Île-de-France, prend la parole dans Pharma365 pour défendre un mouvement qu’elle juge vital pour l’avenir de la profession.

Delphine Chadoutaud (URPS IDF)
Pouvez-vous nous rappeler brièvement ce qu’est l’URPS Pharmaciens IDF ?
Delphine Chadoutaud : Les URPS (Unions Régionales des Professionnels de Santé) ont été créées dans le cadre de la loi HPST de Roselyne Bachelot. Leur rôle est de représenter les professionnels de santé en région, en complémentarité avec les ARS qui incarnent le versant administratif de la régionalisation de la santé.
Il existe une URPS pour chaque profession de santé : médecins, dentistes, infirmiers, sages-femmes, kinés… et bien sûr pharmaciens. Notre mission est de proposer des expérimentations, valoriser les compétences des pharmaciens et améliorer l’accès aux soins.
Cette journée du 16 août est appelée “journée de mobilisation”. Pourquoi ne pas parler de « grève » ?
D. C. : Le mot « grève » me semble trop agressif vis-à-vis des patients. L’idée est d’organiser une journée de réflexion, de sensibilisation. On veut éviter de heurter, mais surtout, montrer concrètement ce que signifie une France sans pharmacies pendant trois jours consécutifs : plus de conseils, plus de tests, plus de soins de base…
Certains diront qu’on fait le pont. Mais justement, on veut profiter de ce pont pour créer un électrochoc : que se passe-t-il quand le maillage officinal s’efface, ne serait-ce que temporairement ?
Quel est le climat actuel parmi les pharmaciens ? Le mouvement sera-t-il suivi ?
D. C. : Oui, je le crois sincèrement. Dans l’Essonne, nous avons lancé un sondage : 70 % des répondants ont affirmé vouloir fermer le 16 août. Et ce n’est pas une question d’attendre que “le voisin ferme”. C’est un ras-le-bol individuel, profond. Beaucoup de confrères me disent : “Je ferme, même si ça ne change rien, parce que j’en ai assez. Je veux dire stop.”
Certains pharmaciens hésitent à fermer pour des raisons de trésorerie. Que leur répondez-vous ?
D. C. : Je suis la première concernée. Ma trésorerie est en permanence dans le rouge. Fermer un samedi me coûte cher. Mais la vraie question, c’est : veux-tu fermer un jour… ou fermer toujours ?
Il faut voir cette mobilisation comme un investissement pour préserver notre avenir.
Mon fils, futur avocat, a fait un stage au tribunal de commerce. Il m’a dit avoir vu défiler des dizaines de pharmaciens en procédure collective, sans faute de gestion, juste à cause d’un modèle économique devenu intenable. Ça m’a glacée.
Des actions sont-elles déjà prévues au-delà du 16 août ?
D. C. : Le mois de septembre s’annonce très noir. Des fermetures sont déjà envisagées, notamment le mercredi 18 septembre, et certains proposent de fermer tous les samedis.
L’idée n’est pas seulement de faire du bruit, mais de rappeler que nous sommes essentiels au système de santé.
D’autres actions sont à l’étude, comme l’arrêt de la préparation des piluliers pour les EHPAD. Imaginez : les pharmaciens arrivent avec les traitements en vrac, sans organiser la posologie. Les ARS paniqueraient, car les soignants en congés ne sauraient comment s’organiser. Ce genre d’action illustre crûment notre rôle invisible, mais fondamental.
Catherine Vautrin a récemment proposé de réutiliser les médicaments non utilisés. Quelle est votre réaction ?
D. C. : Pourquoi nous avoir imposé la sérialisation si c’est pour maintenant envisager de réinjecter dans le circuit des boîtes ouvertes, sans traçabilité, mal conservées ? Imaginez un patient atteint d’un cancer, à qui on donne un médicament récupéré chez quelqu’un d’autre, resté un mois dans une boîte à gants en plein été… C’est inacceptable. De plus, nous n’avons ni les moyens ni le temps de gérer ce type de mission supplémentaire.
Dans le festival des idées absurdes, celle-ci remporte la palme.
Et puis, soyons honnêtes : les MNU onéreux ne reviennent quasiment jamais. Les données de Cyclamed le prouvent. C’est un non-sens sanitaire et économique, et une nouvelle preuve de déconnexion totale du terrain.
Un dernier mot pour les confrères et consœurs qui liront cet article ?
J’aimerais que les pharmaciens cessent de culpabiliser. On nous a longtemps perçus comme des “nantis”. Ce temps est révolu. Aujourd’hui, nous sommes à flux tendu, et nous continuons à assurer un service public exemplaire.
Le 16 août, ce n’est pas un samedi comme les autres. C’est une ligne de démarcation pour notre avenir.
Nous devons reprendre confiance, relever la tête, être fiers de ce que nous faisons. Et dire clairement stop quand la ligne rouge est franchie.