« Ce n’est pas une trêve… c’est une première étape » - Interview exclusive de Yorick Berger (FSPF), en direct du CNDP de Lyon

Au Congrès National des Pharmaciens à Lyon, Yorick Berger (FSPF) revient sur l’été de tension autour du plafonnement des remises et la fragilité économique du réseau officinal. Il appelle à une refondation “venue du terrain”, fondée sur la valeur de l’acte officinal, la reconnaissance du temps passé et le maintien du maillage. Un échange direct, franc et ancré dans le réel.

Par Thomas Kassab, publié le 12 octobre 2025

« Ce n’est pas une trêve… c’est une première étape » – Interview exclusive de Yorick Berger (FSPF), en direct du CNDP de Lyon

Après l’été de tension : trêve ou tournant ?

Yorick Berger : Je ne parlerais pas de trêve, mais plutôt d’une première étape. Politiquement, on ne pouvait pas supprimer l’arrêté du jour au lendemain, sinon cela aurait envoyé le message : « les pharmaciens ont râlé et on a cédé ».
Cette suspension, c’est un temps utile : une mise à plat, l’occasion de repenser ensemble notre modèle. Comme l’a dit Édouard Philippe ici au congrès, c’est maintenant qu’il faut se prendre en main.
Nous devons revenir à ce qui fait notre cœur de métier : la dispensation, le bon usage, l’observance, l’explication des effets secondaires. Ce sont nos fondamentaux.
Nous devons aller vers une dispensation plus qualitative que quantitative, où l’on reconnaît enfin la valeur du conseilet le temps passé avec le patient.

« Travailler gratuitement n’est plus tenable »

Y. B. : On nous reproche parfois de délivrer trop, mais la réalité, c’est que les médecins prescrivent large pour pallier les délais d’accès aux soins. Et c’est au comptoir que nous faisons le tri, que nous adaptons, que nous expliquons.
C’est là que se joue la qualité du parcours patient. Nous faisons de la régulation thérapeutique en temps réel, et c’est totalement invisible dans les statistiques.
Le dispositif de dispensation adaptée (DAD) ? Une belle idée, mais dans les faits, on passait plus de temps à le tracer qu’à soigner.

Il faut arrêter l’hypocrisie : travailler gratuitement n’est plus tenable.

Nous ne sommes pas une charge pour la Sécu. L’Assurance maladie pense qu’en nous payant, elle dépense ; en réalité, elle investit. Car chaque minute passée à sécuriser un traitement, c’est une hospitalisation évitée demain.

L’image du “pharmacien nanti” : un cliché qui coûte cher

Y. B. : C’est un réflexe pavlovien. À chaque PLFSS, on rase le médicament comme si c’était la variable d’ajustement.
Mais on oublie que la France, ce sont 20 000 officines, dont beaucoup en zones fragiles, souvent dernier maillon sanitaire.
On mélange tout : les grandes structures visibles et les petites pharmacies rurales qui tiennent à bout de bras leur activité.
Résultat : des politiques à courte vue, alors que sur les volumes courants, il n’y a plus de marge pour personne, même pas pour les grossistes-répartiteurs. Il faut en finir avec cette vision archaïque. Le pharmacien d’aujourd’hui n’est pas un rentier, c’est un soignant en première ligne.

Médicaments chers : « Refuser de les délivrer, ce serait se tirer une balle dans le pied »

Y. B. : Rebasculer les médicaments onéreux à l’hôpital serait une erreur stratégique. L’officine simplifie le parcours patient : commande, livraison, facturation, tout est fluide. Et le remboursement arrive avant même le paiement du grossiste, donc aucun risque de trésorerie.

Refuser les médicaments chers, ce serait se tirer une balle dans le pied.

Le vrai sujet, c’est le risque d’indus, qui n’est pas supportable pour une petite structure. La bonne approche, c’est que ces médicaments deviennent propriété de l’État, payé directement au laboratoire, et que nous soyons rémunérés sur la prestation de délivrance. Mais si on les retire de l’officine, on casse la continuité du soin.

Officines fragiles : survivre avant de se réinventer

Y. B. : Les 20 000 € promis pour les territoires fragiles, il faut les prendre. Ce n’est pas une aumône, c’est une bouffée d’oxygène pour éviter la casse. Mais cela ne suffira pas. Il faut repenser le maillage : mutualiser là où il y a surdensité, consolider ailleurs.
Dans certaines zones rurales, la pharmacie doit redevenir un dispensaire moderne, pivot du parcours de santé.
Nous devons assumer ce rôle de premier recours : repérage, prévention, accompagnement. Les buralistes ont su se réinventer. À nous de montrer que nous sommes une utilité de santé publique, pas seulement un commerce.

Pansements et premiers secours : « On ne vole le travail de personne »

Y. B. : Quand un patient arrive en saignant, on ne va pas le renvoyer ailleurs. On ne vole pas le travail des autres, on répond à un besoin réel. Les médecins ne sont pas disponibles, les infirmiers débordés. Et envoyer quelqu’un aux urgences pour un pansement, c’est absurde et coûteux. Nos gestes doivent être reconnus, encadrés et rémunérés, dans un cadre clair, en lien avec les secours ou la téléconsultation d’urgence.

Les pompiers nous appellent déjà “PPS” — postes de premier secours.

Ce n’est pas anodin : la population nous identifie comme acteurs du premier soin. C’est une responsabilité et une chance.

PLFSS 2026 : « On attend un gouvernement de techniciens »

Y. B. : Nous espérons un gouvernement de techniciens, capable de décisions rapides, sans idéologie. Un profil comme Nicolas Revel pourrait aller dans ce sens. Sur le terrain, nous continuons à alerter les élus locaux : une pharmacie qui ferme, c’est un service public de proximité qui disparaît. Les élus l’ont compris : soutenir l’officine, c’est protéger leurs électeurs. Et je le dis souvent : ils ont échoué avec les médecins. S’ils perdent les pharmaciens, le système s’effondre.

Fin de vie : « Le pharmacien ne donne pas la mort, il accompagne »

Y. B. : C’est un sujet sensible, mais il faut en parler. Une consœur, ancienne présidente syndicale, a dû traverser la Suisse pour bénéficier d’une aide active à mourir. Elle nous a demandé de porter ce combat. En France, il faut encadrer ces situations. Le pharmacien ne donne pas la mort, il prépare un médicament dans un cadre strict, pour accompagner la fin de vie.
Notre rôle, c’est de soulager la souffrance, pas de la prolonger inutilement.

Le pharmacien ne donne pas la mort, il accompagne.

La clause de conscience est nécessaire, mais elle ne doit pas exclure l’officine du parcours de soin.

“Mon Bilan Prévention” : bonne idée, mauvaise conception ?

Y. B. : Le principe est bon, mais l’exécution ratée. Quand tout le monde peut le faire, personne ne le fait.
On discute, on coche des cases, et ensuite plus rien. Il faut transformer ce bilan en parcours de prévention : repérage, plan d’action, orientation, suivi. Le numérique peut aider : un pré-questionnaire patient, une IA qui priorise les besoins, et nous, pharmaciens, qui accompagnons vraiment.

« Notre métier, ce n’est pas de faire la police »

Y. B. : Les patients nous considèrent déjà comme leur pharmacien traitant. C’est une évolution naturelle. Mais il faut un environnement sûr. Aujourd’hui, les fausses ordonnances sont quasi parfaites. Nos équipes passent leur temps à vérifier, suspecter, interroger… Ce n’est pas notre mission.

Notre métier, ce n’est pas de faire la police, c’est de délivrer le bon médicament au bon patient.

Le dossier pharmaceutique est un outil essentiel. Arrêtons de le fragiliser au nom d’un RGPD mal compris.
Et demain, l’IA doit sécuriser, pas remplacer. Le pharmacien augmenté, c’est le même professionnel, mais mieux équipé.

Une réforme qui viendra du terrain

Y. B. : La consultation nationale que nous lançons durera un mois. Le but : faire remonter les propositions du terrain.
Nous voulons des idées concrètes, opérables, qu’on puisse chiffrer et signer. Pas d’usine à gaz. Des actes utiles, rémunérés, évalués. C’est au gouvernement de jouer. Nous, nous avons les idées, les compétences et la confiance des patients.
Ce qu’il faut maintenant, ce sont des décisions rapides. Le pharmacien n’a pas besoin d’un pansement, il a besoin d’une refondation.