« Apaiser sans céder » : quand le RAID inspire la gestion de crise au comptoir
Et si désamorcer une altercation au comptoir obéissait aux mêmes principes qu’une négociation de crise au RAID ? Au 77e Congrès national des pharmaciens à Lyon, Pharma365 a assisté à une conférence aussi captivante qu’instructive : celle de Laurent Combalbert, ancien négociateur du RAID, formé au FBI. Face aux tensions croissantes vécues dans les officines, il a livré une leçon magistrale sur l’art de gérer les émotions, maintenir l’autorité et transformer un conflit en opportunité d’écoute.

Le conflit n’est pas une menace, c’est une matière première
« Le conflit, c’est la base de la créativité. » La phrase tombe comme un mantra. Pour Laurent Combalbert, ancien officier passé par la CRS 8 avant d’intégrer le RAID, rejeter le conflit, c’est rejeter la réalité. Son propos déstabilise, tant nous avons été formés à l’éviter. Mais selon lui, tout l’enjeu consiste à le transformer en outil. « Dans une officine comme sur un théâtre d’opération, il ne s’agit pas d’échapper à la confrontation, mais de la canaliser pour trouver une issue acceptable. »
On ne peut pas toujours éviter le conflit, mais on peut choisir comment on y entre.
Formé à l’Académie du FBI à Quantico auprès du légendaire Gary Noesner, il a hérité de Michel Marie, premier négociateur du RAID, la conviction que la parole peut sauver des vies. « Michel Marie a été le premier à comprendre que négocier, c’est stabiliser, comprendre et obtenir une contrepartie. Ce n’est pas céder. »
Quand le RAID s’invite à l’officine
Laurent Combalbert ne s’est pas contenté de parler de terrorisme ou de prises d’otages. Tout au long de sa conférence, il a multiplié les parallèles avec la vie officinale : le client qui exige une délivrance sans ordonnance, celui qui s’énerve parce qu’on lui propose un générique, ou cette habituée qui revient chaque soir à 19 h 30 en exigeant sa marque préférée, « et sans payer ». Ces scènes, les pharmaciens les connaissent par cœur.
« Dans vos officines, vous gérez des situations de tension au quotidien. Vous êtes en première ligne, sans bouclier. La différence avec le RAID, c’est qu’on nous tire rarement dessus. Mais pour le reste, les mécanismes humains sont les mêmes. »
L’ancien négociateur évoque alors la règle des six D qu’il appliquait sur le terrain : droit au désaccord, devoir de discipline et débriefing collectif. « Dans une équipe, on a le droit de ne pas être d’accord, mais une fois la décision prise, elle devient celle de tous. Et après, on analyse ensemble ce qui a fonctionné ou non. » Une méthode que les titulaires pourraient utilement transposer à la vie d’équipe officinale, souvent mise à rude épreuve.
Accepter le désaccord, c’est la première étape vers la cohésion.
La tête froide sous la pression chaude
Lorsqu’un client hausse la voix ou conteste un conseil, la lucidité devient fragile. « Sous tension, notre cerveau ne traite plus que deux informations à la fois », rappelle Combalbert. Résultat : on réagit, on ne répond plus.
La clé consiste à ralentir : la voix, la respiration, les gestes. « Ce n’est pas en parlant plus fort qu’on reprend le contrôle, mais en parlant plus bas. » Cette simple modification du rythme permet de regagner l’ascendant émotionnel.
Il cite aussi la différence entre la colère, émotion primaire légitime, et le comportement agressif, qui lui, ne l’est pas.
Dire à quelqu’un “calmez-vous” est la pire des erreurs.
On nie son émotion. On peut valider ce qu’il ressent sans valider ce qu’il fait. »
Ainsi, face à un patient furieux, la formule à retenir est simple : “Je vois que vous êtes en colère parce que vous avez attendu longtemps. Mais je ne peux pas vous laisser parler sur ce ton à mon équipe.”
Une phrase qui conjugue empathie et cadre.
On peut reconnaître l’émotion, sans jamais cautionner le comportement.
Négocier, ce n’est pas plaire : c’est cadrer
La conférence prend alors un tour plus concret. Le négociateur évoque la fameuse prise d’otages de Neuilly en 1993, où le RAID parvient à sauver vingt-et-un enfants face à Érick Schmitt, alias Human Bomb.
Michel Marie répétait sans cesse : jamais de concession sans contrepartie.
Un principe transposable au comptoir : si l’on dépanne un patient hors horaire ou qu’on accepte une commande express, il faut fixer une contrepartie, fût-elle symbolique.
« Une concession sans échange n’a pas de valeur. Elle devient un acquis. Et l’acquis, on ne peut plus y revenir. »
Les quatre leviers du pouvoir officinal
« Dans toute négociation, il faut identifier le type de pouvoir qu’on exerce », explique-t-il.
Il distingue l’autorité institutionnelle (la blouse, le cadre légal), la légitimité de compétence (le savoir pharmaceutique), la force de confiance (le charisme) et surtout le pouvoir relationnel.
« C’est ce dernier qui fait la différence. Dans la majorité des conflits, l’autre ne cherche pas à avoir raison, il cherche à être entendu. »
Cette approche relationnelle repose sur l’écoute active, l’humour dosé, la reformulation et surtout… les questions.
« On m’a appris à répondre aux questions, pas à les poser. Pourtant, l’art du questionnement, c’est l’arme absolue. »
Il recommande d’éviter les “Pourquoi ?” — vécus comme des attaques — et de préférer les “Qu’est-ce qui… ?”.
“Qu’est-ce qui vous inquiète ?”, “Qu’est-ce qui vous ferait dire que la solution a marché ?” : ces formulations apaisent, ouvrent, responsabilisent.
Celui qui pose les bonnes questions garde le pouvoir.
Savoir dire stop : le courage tranquille
« Il faut aussi savoir arrêter une discussion. »
Le négociateur évoque ces patients qui tournent en boucle, ceux qui ne veulent pas comprendre, ceux dont la vérité est “ailleurs”. Dans ces cas-là, mieux vaut clore poliment : “Je crois qu’on ne se comprend pas aujourd’hui. Revenez demain, on en reparlera calmement.”
Et si la menace persiste ? « On ne bluffe jamais. Si on dit qu’on appelle la police, on le fait. Parce qu’un bluff découvert, c’est une autorité perdue. »
Il parle aussi de la fatigue émotionnelle, du risque d’usure. « On ne peut pas absorber la colère du monde tous les jours sans se protéger. Débriefez entre vous. Dites quand c’était difficile. La tristesse, c’est une émotion utile : elle permet de faire le deuil d’un échec et de reconstruire. »
“Être authentique, lucide et empathique”
En conclusion, Laurent Combalbert livre une dernière phrase, simple et puissante :
Le pharmacien, c’est un négociateur du quotidien. Être authentique, lucide et empathique, c’est la meilleure arme contre la crise.
Sous les applaudissements nourris de la salle, son message résonne comme une évidence : derrière le comptoir, nous ne sommes pas seulement des dispensateurs, mais des médiateurs, parfois des amortisseurs du monde.
Et quand il cite François Guizot — « Le monde appartient aux optimistes, les pessimistes n’en sont que les spectateurs » — on comprend que dans la pharmacie comme dans la négociation, le courage n’est pas de gagner, mais de rester humain.