Quels médicaments éviter pendant la grossesse ?
Pendant la grossesse, l'automédication n'est jamais anodine. Barrière placentaire perméable, pharmacocinétique bouleversée, risques tératogènes ou fœtotoxiques : derrière un comprimé banal peut se cacher un vrai danger. D'où l'importance, au comptoir, d'avoir les bons réflexes. Ce guide pratique livre des repères concrets pour interroger, conseiller et sécuriser chaque situation.

Une vigilance systématique s’impose au comptoir
Chez la femme enceinte, la moindre molécule ingérée peut franchir la barrière placentaire. Or, celle-ci n’est pas une protection hermétique : elle agit davantage comme un filtre, dont la perméabilité varie selon les caractéristiques physico-chimiques de la substance et l’avancement de la grossesse. Par ailleurs, la grossesse modifie tous les paramètres pharmacocinétiques : motilité digestive ralentie, pH gastrique accru, volume de distribution augmenté, hypoalbuminémie, induction ou inhibition enzymatique, élévation de la filtration glomérulaire… En résulte une imprévisibilité majeure du devenir des médicaments, rendant leur usage hors prescription particulièrement risqué. Pourtant, près de 40 % des femmes enceintes déclarent avoir pris un médicament de leur propre initiative au cours de leur grossesse. Et jusqu’à une sur deux lorsqu’il s’agit d’un second enfant. Le rôle du pharmacien devient alors essentiel pour prévenir les risques iatrogènes, même en l’absence d’ordonnance.
« Pour éviter tout risque inutile, je me permets de vous demander si vous êtes enceinte ou s’il y a un désir de grossesse ? »
« Avant de vous donner ce médicament, est-ce que vous attendez un bébé ou vous pourriez être en début de grossesse ? »
« En période de grossesse, certains produits peuvent poser souci même s’ils sont en libre accès. Vérifions ensemble. »
Adopter les bons réflexes de terrain
Le conseil officinal auprès d’une femme enceinte repose sur trois piliers :
- Identifier tôt une grossesse : l’information « je suis enceinte » ne vient pas toujours spontanément, notamment dans les toutes premières semaines. Un questionnement systématique s’impose chez toute femme en âge de procréer.
- Évaluer le niveau de risque de la substance envisagée : des bases comme le CRAT* permettent d’objectiver la tératogénicité, la fœtotoxicité, le recul clinique et les conduites à tenir.
- Préférer les alternatives non médicamenteuses chaque fois que cela est possible (hygiène de vie, diététique, mesures mécaniques ou phytothérapie bien ciblée).
Des formes galéniques rassurantes… mais pas toujours anodines
Certaines formes galéniques (suppositoires, sirops, crèmes) peuvent être perçues comme moins à risque que les comprimés oraux. Pourtant, la voie d’administration n’exclut pas le passage systémique, et donc le risque pour l’embryon ou le fœtus. Il est essentiel de ne pas se laisser rassurer par la galénique et de vérifier chaque spécialité, même pour un usage local ou topique.
Substances à bannir ou à manier avec précaution
Le spectre des risques varie selon le stade gestationnel : tératogénicité pendant l’organogenèse (J21 à S9) et fœtotoxicité au-delà (ex. AINS à partir de 24 SA). Parmi les substances à éviter formellement ou avec extrême précaution :
- AINS (ibuprofène, kétoprofène, diclofénac, aspirine ≥ 500 mg) : interdits dès le 6e mois, avec des risques de fermeture prématurée du canal artériel, d’insuffisance rénale, d’anamnios, voire de décès in utero.
- Décongestionnants nasaux à base naphazoline : vasoconstricteurs à effet systémique, déconseillés à tout terme.
- Médecines naturelles : fausse sécurité, vrais dangers
La phytothérapie et l’aromathérapie sont souvent plébiscitées par les femmes enceintes pour leur image de naturalité. Toutefois, la thèse met en évidence de nombreux profils à risque, parmi lesquels :
- Huiles essentielles à éviter systématiquement : sauge officinale, menthe poivrée, cannelle de Ceylan, thym à thymol, basilic exotique…
- Plantes à effet utérotonique ou abortif : armoise, aloès, réglisse à forte dose.
- Plantes à effet hormonal-like : soja, trèfle rouge, houblon.
L’entretien femme enceinte à l’officine : un acte rémunéré
Depuis 2019, l’entretien pharmaceutique femme enceinte peut être proposé dès le 1er trimestre et facturé 5 € via le LGO (code acte EFE). Cet échange structuré vise à faire le point sur les traitements, sensibiliser aux risques médicamenteux, adapter la supplémentation (acide folique, vitamine D…) et prévenir les expositions à risque (alcool, tabac, …). Sans prescription médicale, il permet aussi de renforcer le lien avec la patiente et de mieux coordonner le parcours de soins.
Les questions clés à poser
Pour détecter une grossesse ou mieux adapter son conseil, l’équipe officinale peut s’appuyer sur une trame simple :
- « Êtes-vous enceinte ou vous pourriez l’être ? »
- « À quel stade de votre grossesse en êtes-vous ? »
- « Avez-vous d’autres traitements en cours ? »
- « Avez-vous déjà eu ce médicament par le passé ou est-ce une première prise ? »
Ce dialogue permet de désamorcer les risques d’automédication inadaptée et de valoriser pleinement le rôle clinique du pharmacien.
Pictogrammes grossesse insuffisants
Depuis plusieurs années, certains médicaments à risque tératogène ou fœtotoxique sont signalés par un pictogramme obligatoire sur l’emballage :
- « Médicament + grossesse = danger » pour les substances à éviter sauf si indispensable,
- « Médicament + grossesse = interdit » pour les contre-indications formelles.
Ces pictogrammes ont une valeur informative et préventive, mais ils ne couvrent pas tous les risques, ni tous les médicaments concernés. Certains produits sans pictogramme peuvent aussi être inadaptés à la grossesse. Le réflexe doit rester prioritaire : ne jamais se fier uniquement à la boîte, mais toujours vérifier la molécule, la posologie, et le terme de la grossesse via une base spécialisée comme le CRAT*.
*CRAT : www.lecrat.fr