Polymédication des seniors : guide pratique au comptoir
Le patient âgé polymédiqué n'est plus l'exception, mais le quotidien de l'officine. Entre risque iatrogène et perte d'autonomie, la prise en charge exige un rôle actif et structurant. Du bilan partagé de médication à la préparation des doses à administrer, jusqu'au simple échange au comptoir, les leviers existent. Reste à les saisir, les organiser et surtout les faire reconnaître.

Sécuriser, écouter, accompagner
Avec l’avancée en âge, les pathologies chroniques s’accumulent, les spécialistes se succèdent, et les traitements s’empilent. Selon une enquête*, 14 % des plus de 65 ans déclarent prendre plus de cinq médicaments par jour, et cette proportion grimpe chez les plus de 75 ans. Ce phénomène de polymédication, s’il répond à des indications médicales justifiées, peut rapidement exposer à des risques : interactions, iatrogénie, confusion, perte d’observance, voire hospitalisation évitable. À l’officine, le pharmacien est en première ligne pour repérer les signaux faibles et sécuriser les traitements.
Quand les traitements deviennent trop lourds
La polymédication augmente le risque d’effets indésirables, renforcé par la diminution de la fonction hépatique et rénale liée à l’âge. Selon l’OMS, 20 à 30 % des hospitalisations des plus de 65 ans proviennent d’un mauvais usage médicamenteux. Les signaux sont parfois discrets : boîte non entamée, oublis, doublons, traitement poursuivi malgré une nouvelle ordonnance. Un échange structuré peut tout changer, car derrière chaque ordonnance complexe se cachent contraintes, inquiétudes… et souvent des prises inadaptées.
Le BMP : un acte pharmaceutique à part entière
Créé par l’avenant n° 11 à la convention pharmaceutique, le bilan partagé de médication (BPM) permet de faire le point avec le patient et de coordonner avec le médecin traitant. Il concerne les plus de 65 ans en ALD, recevant au moins cinq médicaments chroniques. Il comprend une analyse des délivrances, un entretien structuré, un compte rendu transmis au médecin et, si besoin, un suivi à 6 mois. L’acte est rémunéré 40 € pour le bilan initial et 30 € pour le suivi.
Mener un entretien structuré
Loin d’un questionnaire rigide, l’entretien structuré est un moment d’écoute et de clarification. Le patient parle de son traitement, de son vécu et de ses habitudes. Quelques questions clés révèlent beaucoup : « Savez-vous à quoi sert ce médicament ? », « L’avez-vous déjà oublié ? », « Avez-vous constaté des effets gênants ? », « Qui prépare votre traitement ? ».
Ce dialogue aide à repérer incompréhensions, redondances, interactions, automédication, ou encore des troubles cognitifs débutants. L’objectif n’est pas de juger, mais de sécuriser, simplifier et accompagner. Le compte rendu au médecin peut suggérer, avec diplomatie, un arrêt de traitement inapproprié (IPP prolongé…), une adaptation galénique, une surveillance renforcée, un recours au gériatre ou la mise en place d’une PDA.
Des signaux faibles… à une proposition proactive
Il faut savoir repérer les signes d’alerte : patient déboussolé, ordonnance confuse, oublis répétés, chute récente, perte de poids inexpliquée… Détectés tôt, ils justifient un bilan. Plutôt que d’attendre, on peut initier l’échange : « Souhaitez-vous que l’on prenne un moment pour revoir vos médicaments ? C’est un service pris en charge par l’Assurance maladie. »

Structurer la démarche au sein de l’équipe officinale
Un BPM réussi repose sur une bonne organisation : cibler les patients éligibles (profil, ordonnance, historique), planifier l’entretien, préparer l’analyse pharmaceutique et rédiger un compte rendu clair. Des outils comme Bimedoc offrent des assistants intégrés.
Également, les préparateurs jouent un rôle clé : repérage, préparation du dossier, recueil des habitudes au comptoir. Le pharmacien valorisera, ensuite, le cœur clinique de l’acte : entretien, analyse, coordination avec le prescripteur.

Bilan partagé de médication de Bimedoc
Recentrer le métier sur l’accompagnement
Proposer un bilan partagé de médication, ce n’est pas « perdre du temps », c’est en gagner en qualité de soin. C’est aussi valoriser l’expertise officinale, renforcer les liens avec les médecins, et répondre aux attentes de patients souvent perdus dans un parcours morcelé. La clé ? De la rigueur, de l’écoute et une volonté de replacer le bon usage du médicament au cœur de notre pratique quotidienne.
*Sondage Odoxa pour le Leem, Étude sur le rapport des personnes âgées aux médicaments (juin 2024)