Missions officinales : le piège se referme sur les pharmaciens ?

Vaccination, dépistages, bilans partagés : jamais les pharmaciens d’officine n’ont été autant sollicités pour des actes de santé publique. Mais derrière la dynamique, les disparités d’appropriation, de rentabilité et de moyens posent question. Faut-il réorganiser l’officine pour capitaliser sur ce virage ? Réponses d’experts et éclairage stratégique.

Laurent Desbarres, publié le 06 mai 2025

Missions officinales : le piège se referme sur les pharmaciens ?

L’officine en mutation : une révolution de la mission sanitaire

À l’échelle du réseau officinal, 2024 aura été une année de bascule. Près de 11,2 millions de vaccinations antigrippales ont été réalisées en pharmacie, représentant 66 % de la couverture nationale. À cela s’ajoutent les rappels vaccinaux adultes, en croissance de 182 %, la généralisation des TROD angine, et l’essor fulgurant du dépistage de la cystite, nouvellement intégré au dispositif officinal. Une dynamique saluée par Philippe Besset, président de la FSPF :

« Si l’on prend un exemple, la prise en charge de l’angine et de la cystite, si ça va jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la dispensation protocolisée d’antibiotiques, ça va rapporter 21 euros à la pharmacie. Il y a un temps passé qui est supérieur, mais acte par acte, oui, on peut dire qu’il y a une rentabilité. »

Mais cette rentabilité reste conditionnelle : à l’intégration efficace dans le flux, à la formation des équipes, et surtout à une organisation fluide. Les officines les mieux structurées se démarquent. Les autres peinent à suivre.

Prévention, entretiens, accompagnement : mission noble, mise en œuvre fragile

L’ambition initiale des bilans partagés de médication ou des entretiens AOD, AVK, asthme est de renforcer l’adhésion thérapeutique. Pourtant, leur mise en œuvre reste hétérogène. Si les Bilan Partagés de Médication (BPM) ont crû de 157 %, les entretiens restent marginaux, faute de temps et de reconnaissance suffisante.

Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO, pointe un enjeu clé :

« Il faut redégager du temps pharmacien. Écarter les actions qui n’ont pas à être faites par les officinaux. Ne perdons plus de temps à recevoir les laboratoires ou à gérer le tiers payant. Si on le fait, cela nous libère du temps pour toutes ces nouvelles missions. »

Le problème est autant économique qu’organisationnel. Chaque entretien mobilise en moyenne 20 à 30 minutes d’un pharmacien. Or, dans les structures sous-dotées en personnel, cet investissement est parfois intenable. Pourtant, comme le rappelle Variot,

« Ce qui est important, ce n’est pas uniquement l’analyse pharmacologique mais surtout le fait d’écouter le patient. Comprendre comment il vit avec son traitement, pourquoi il n’est pas observant… »

Une économie officinale sous tension malgré les missions en plein essor

L’augmentation globale du chiffre d’affaires officinal, estimée à +4,8 % en 2024 (46,2 milliards d’euros), ne doit pas masquer les disparités structurelles. Si certaines pharmacies tirent parti des nouvelles missions pour se diversifier, d’autres voient leur marge fondre sous le poids des charges et de la complexité réglementaire. Résultat : une pharmacie ferme chaque jour ouvré. Dans les territoires sous-dotés, la situation devient critique.

Corinne Imbert, pharmacienne et sénatrice, rappelle que :

« Le réseau officinal est un parfait exemple d’aménagement du territoire, tout comme l’accès aux soins. »
Elle alerte toutefois sur le risque de fracture sanitaire si la dynamique des missions n’est pas soutenue dans les zones rurales.

2025 : cap sur la valorisation et l’efficacité organisationnelle

Le gouvernement prévoit d’augmenter la rémunération des prescriptions vaccinales à 7,50 € d’ici 2027. La ROSP exceptionnelle versée en 2024 a été un déclencheur, mais elle reste ponctuelle. La vraie évolution attendue, selon les syndicats, concerne l’architecture même des missions : leur format, leur inscription dans le quotidien, leur rémunération.

Pour maintenir la dynamique, il faudra une réforme plus systémique : incitation, digitalisation, simplification administrative. Car les missions officinales ont démontré une chose essentielle : leur pertinence n’est plus à prouver. Reste à les rendre soutenables et équitables.