Erreur de délivrance par un pharmacien adjoint : quelle(s) responsabilité(s) pour le pharmacien titulaire ?
Le pharmacien titulaire d’officine occupe une position centrale dans l’organisation de celle-ci, en raison de sa qualité de pharmacien mais également de chef d’entreprise. Il est ainsi notamment tenu de veiller à la qualité des dispensations ainsi qu’à l’organisation et au bon fonctionnement de l’officine. Ainsi, en cas d’erreur de délivrance par un pharmacien adjoint, sa responsabilité, qu’elle soit disciplinaire, civile voire pénale, est susceptible d’être engagée.

La responsabilité personnelle du pharmacien adjoint
Liberté de jugement et indépendance
Un pharmacien adjoint conserve sa liberté de jugement et ne peut pas aliéner son indépendance. L’article R. 4235-3 code de la santé publique (le « CSP ») dispose ainsi que :
« Le pharmacien doit veiller à préserver la liberté de son jugement professionnel dans l’exercice de ses fonctions. Il ne peut aliéner son indépendance sous quelque forme que ce soit ».
Cette indépendance s’applique également à l’occasion de la conclusion d’un contrat de travail (art. R. 4235-18 du CSP).
Responsabilité de l’adjoint en cas d’erreur
Il demeure ainsi pleinement responsable de ses actes et engage sa responsabilité lorsqu’il commet une erreur de délivrance, peu important le lien de subordination qui le lie au pharmacien titulaire ou encore la circonstance que le titulaire ait validé une dispensation.
On relèvera que les règles sont évidemment différentes s’agissant des erreurs de délivrance commises par un préparateur, dès lors qu’ils assument leurs tâches sous la responsabilité et le contrôle effectif d’un pharmacien (art. L. 4241-1 du CSP).
Les erreurs de délivrance liées à un défaut de vérification ou de contrôle du pharmacien sur les actes de ses préparateurs donnent ainsi habituellement lieu à des sanctions disciplinaires pouvant aller d’un blâme à une interdiction temporaire d’exercer de plusieurs mois.
La responsabilité élargie du pharmacien titulaire
Surveillance et encadrement
La responsabilité du pharmacien titulaire peut néanmoins être engagée lorsque l’erreur de délivrance d’un adjoint résulte de la méconnaissance par le titulaire de ses obligations.
D’une part, le pharmacien titulaire est tenu à un devoir de surveillance des actes qui sont accomplis dans l’officine en application de l’article R. 4235-13 du CSP :
« L’exercice personnel auquel est tenu le pharmacien consiste pour celui-ci à exécuter lui-même les actes professionnels ou à en surveiller attentivement l’exécution s’il ne les accomplit pas lui-même ».
Il est également tenu à un devoir d’encadrement de ses adjoints (art. R. 4235-14 du CSP) :
« Tout pharmacien doit définir par écrit les attributions des pharmaciens qui l’assistent ou auxquels il donne délégation ».
D’autre part, il est tenu d’organiser son officine et demeure ainsi responsable des erreurs liées à un défaut d’organisation.
On relèvera que sa responsabilité peut être engagée, peu important qu’il n’exerce plus personnellement dans l’officine dans laquelle il détient des parts sociales.
Le cumul de responsabilité du pharmacien titulaire
Responsabilité disciplinaire
En cas de faute, le pharmacien titulaire est susceptible de voir sa responsabilité disciplinaire engagée, mais également sa responsabilité civile, voire pénale.
D’une part, s’agissant de sa responsabilité disciplinaire, les instances disciplinaires de l’Ordre sont autorisées à sanctionner le titulaire en raison des fautes commises par un pharmacien adjoint en application de l’article R. 4235-16 du CSP :
« Les instances disciplinaires de l’ordre apprécient dans quelle mesure un pharmacien est responsable disciplinairement des actes professionnels accomplis par un autre pharmacien placé sous son autorité. Les responsabilités disciplinaires respectives de l’un et de l’autre peuvent être simultanément engagées ».
À ce titre, si l’Ordre considère qu’une erreur commise par un adjoint n’est pas, en principe, de nature à engager la responsabilité du pharmacien titulaire, il en va différemment si une faute de surveillance ou d’organisation de l’officine est constatée.
Dans tous les cas, la sanction prononcée prend en compte la nature et la gravité de l’erreur ainsi que ses conséquences pour la santé du patient, mais également les éventuels autres manquements constatés.
Critères d’appréciation
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Âge, expérience et antécédents de l’adjoint : la responsabilité du titulaire est davantage admise en présence d’un pharmacien adjoint débutant que d’un pharmacien adjoint expérimenté.
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Organisation de l’officine : plusieurs exemples illustrent les sanctions :
Exemples de sanctions ordinales
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Trois mois d’interdiction d’exercer dont un mois avec sursis : délivrance par un adjoint d’un neuroleptique adulte à un nourrisson, révélant l’absence de règles de bonnes pratiques de dispensation.
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Blâme : délivrance par un remplaçant de fortes doses d’antidépresseurs malgré alertes sur le risque suicidaire, révélant une mauvaise organisation et absence de procédure d’alerte.
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Douze mois d’interdiction d’exercer dont neuf mois avec sursis : délivrance d’une préparation sous-traitée incorrecte ayant conduit au décès d’une patiente.
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Blâme : garde nocturne par un adjoint en état d’ébriété ayant délivré à un enfant un médicament pour adulte.
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Blâme : délivrances sans ordonnance initiale hospitalière, révélant une négligence dans le suivi.
Responsabilité civile
La responsabilité civile du titulaire pourra être engagée en cas de dommage causé au patient (art. 1242 Code civil), sauf si l’adjoint a outrepassé les limites de sa mission.
Il appartiendra alors au titulaire d’apporter la preuve, notamment en justifiant de la délégation accordée.
➡️ Le titulaire est tenu de souscrire une assurance garantissant sa responsabilité civile et administrative (art. L. 1142-2 CSP).
Responsabilité pénale
Des poursuites pénales peuvent être engagées lorsque la faute commise constitue une infraction pénale :
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manquement au devoir de surveillance,
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défaut d’organisation,
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mise en danger de la vie d’autrui,
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atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique.
La jurisprudence retient plus facilement la responsabilité pénale du titulaire en cas de défauts d’organisation (absence de mesures garantissant la qualité des actes, absence de vérification des conditions légales d’exercice d’un adjoint).
👉 Les procédures pénales et disciplinaires sont indépendantes : les instances ordinales peuvent statuer sans attendre le juge pénal, même si elles peuvent surseoir à statuer pour la bonne administration de la justice.
Le pouvoir disciplinaire du pharmacien titulaire
Le pharmacien titulaire peut lui-même agir, en décidant selon la nature et la gravité de l’atteinte :
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Sanctionner disciplinairement son adjoint en sa qualité d’employeur, dans un délai de deux mois après connaissance de la faute, en s’assurant de la matérialité des faits et de la proportionnalité de la sanction.
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Formuler une plainte auprès du Conseil de l’Ordre dans un délai raisonnable (les plaintes déposées plusieurs mois ou années après les faits étant rejetées).
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