Probiotiques : pourquoi chaque souche compte ? Interview exclusive de Michel Dubourdeaux, Directeur recherche, développement, innovation et stratégie de l’offre chez PiLeJe
On les croit interchangeables, et pourtant… chaque souche probiotique est un individu vivant, génétiquement unique, au mécanisme d’action ciblé. Dans cet entretien exclusif, Michel Dubourdeaux, Directeur recherche, développement, innovation et stratégie de l’offre chez PiLeJe, dévoile pourquoi un probiotique ne peut être génériqué, comment chaque souche est sélectionnée, testée et formulée, et ce que les pharmaciens doivent absolument maîtriser pour délivrer un conseil fondé, efficace… et durablement vivant.

Quelles sont les caractéristiques clés qui font qu’une souche probiotique se distingue d’une autre, et comment ces spécificités influencent-elles l’action sur la santé ?
Michel Dubourdeaux : Chez PiLeJe, nous travaillons exclusivement sur le microbiote bactérien, et non sur les levures ou les champignons. Une souche probiotique se distingue par sa désignation taxonomique complète : genre, espèce et surtout souche (identifiée par un code alphanumérique). Cette codification est sa signature génomique, déposée dans des centres de ressources biologiques qui collectionnent les souches (exemples : Institut Pasteur, collection américaine, collection hongroise ….). Deux souches appartenant à la même espèce peuvent avoir des effets totalement différents sur la santé. Par exemple, nous utilisons deux Bifidobacterium animalis subsp.lactis qui, bien que très proches, ont des activités immunomodulatrices différentes : l’une agit davantage sur l’IL-10 (cytokine anti-inflammatoire), l’autre sur d’autres marqueurs.
Une souche probiotique est donc unique et non substituable. Son efficacité repose sur son profil génétique, déterminant ses propriétés fonctionnelles : modulation immunitaire, adhésion à la muqueuse, compétition avec des pathogènes, production de métabolites…
En quoi il n’existe pas de notion de « générique » pour les probiotiques, comme pour certains médicaments ?
Michel Dubourdeaux : Il est impossible de génériquer un probiotique au sens pharmaceutique du terme. Même si deux souches appartiennent à la même espèce (ex : Bifidobacterium animalis subsp.lactis), elles peuvent avoir des génomes distincts, donc des activités différentes.
Il existe une exception : L. rhamnosus GG, dont le génome est identique chez tous les fabricants. Mais, là encore, les différences de procédés de fermentation influencent la stabilité et l’efficacité. Chez PiLeJe, nous avons sélectionné un GG pour sa stabilité supérieure et ses propriétés physiologiques, notamment en adjuvant d’antibiothérapie.
Un probiotique est donc un organisme vivant, à génome unique, non substituable. Il ne peut être copié sans une vérification fonctionnelle et génétique.
Comment établit-on la preuve scientifique de l’efficacité d’une souche probiotique, et pourquoi faut-il évaluer chaque souche individuellement ?
Michel Dubourdeaux : Chez PiLeJe, la preuve d’efficacité repose sur trois piliers de recherche :
- Recherche microbiotique : étude de la souche, de son innocuité (Statuts GRAS, QPS), de son identité (analyse de son génome) et l’absence de gènes de résistance. Nous réalisons des tests de fonctionnalité (Recherche d’activité sur cytokines, interleukines, inhibition de pathogènes…). Nous effectuons aussi un ensemble de screening nous permettant de mesurer sa capacité fermentaire et sa stabilité.
- Recherche appliquée : modèles in vitro, ex vivo, plans d’expériences, preuve de concept. Lors de cette étape, les équipes PiLeJe initient de nombreuses collaborations avec des organismes publics (INRAE, INSERM, APHP…) et privés afin de sélectionner les souches les plus pertinentes dans l’indication recherchée.
- Recherche clinique : essais réalisés sur les produits finis, dans les conditions réelles d’usage. Cela inclut des études randomisées versus placebo, mais également des études observationnelles et des questionnaires patients.
Chaque souche est testée pour l’indication visée. On ne transpose pas les effets d’une souche à une autre.
Quelle est votre approche pour sélectionner et combiner différentes souches ?
Michel Dubourdeaux : Tout débute par un screening individuel : chaque souche est testée pour son effet propre (sur des marqueurs d’inflammation, d’immunité, etc.).
Ensuite, nous testons les associations : certaines souches potentialisent leurs effets, d’autres s’inhibent. Si deux souches se neutralisent, nous écartons l’association.
Il faut également évaluer la compatibilité galénique : certaines souches sont incompatibles avec certains composants tels des excipients, des actifs. Il est important de mesurer l’incidence des formes galéniques (gélules, comprimés, sachets …) sur la stabilité de ces souches. Enfin, nous vérifions régulièrement qu’aucune déviation génomique n’intervient dans le temps.
Comment garantissez-vous la stabilité et la viabilité des souches jusqu’à leur consommation, y compris à température ambiante ?
Michel Dubourdeaux : Nous sélectionnons les souches les plus robustes. Puis, nous adaptons la formulation : choix des excipients non délétères, contrôle strict de l’Aw* (quantité d’eau libre contenu dans un produit), galénique protectrice (gélules, comprimés…), emballage protecteur.
Nous menons des études de stabilité en condition accélérées et en temps réel, des crash-tests, et contrôlons les contraintes mécaniques pendant la fabrication. PiLeJe dispose d’un outil industriel adapté au conditionnement des probiotiques (hygrométrie contrôlée, maitrise de l’Aw …).
Les produits sont stables à température ambiante, à condition d’être conservés dans un endroit sec et tempéré (ni salle de bain, ni de voiture en été).
Une même souche peut-elle répondre à plusieurs indications ?
Michel Dubourdeaux : Oui, à condition que cela soit démontré. Certaines souches ont une activité intestinale directe, mais également des effets sur d’autres microbiotes (vaginal, cutané, même cérébral)1.
Il existe des phénomènes de translocation : des souches intestinales peuvent influencer l’écosystème vaginal ou réguler des interleukines à distance1.
Mais, chaque effet doit être validé par des tests fonctionnels spécifiques. On ne peut pas extrapoler les propriétés d’une souche à plusieurs organes sans preuve.
Comment déterminez-vous le dosage optimal et la forme galénique ?
Michel Dubourdeaux : Le dosage usuel est de 109 à 1011 UFC/jour, selon la souche et l’indication.
Il ne sert à rien de dépasser ce seuil : une fois les niches réceptrices saturées, l’excès est éliminé.
La forme galénique est choisie en fonction du ou des sites d’action ciblés et de la stabilité de la souche, nous sélectionnons la forme galénique la plus adaptée allant de la gélule gastro-résistante, comprimés, jusqu’au sachet. Chaque formulation est testée avec 40 à 50 essais pour vérifier la stabilité, la compatibilité, et l’efficacité attendue.
Quels sont les réflexes que le pharmacien doit avoir pour bien conseiller un probiotique ?
Michel Dubourdeaux : Afin de s’assurer du bon usage des probiotiques, il faut d’abord questionner le patient sur son trouble et ses traitements en cours (ex : antibiotiques, IPP). Mais également sur son mode de vie (alimentation, stress, sommeil…). Ces éléments permettent de s’assurer que la souche ou la combinaison est la plus adaptée. Nous proposons des outils de formation, des questionnaires, des cartographies d’usage pour accompagner les professionnels de santé dans cette démarche.
Quels conseils de prise et de suivi le pharmacien doit-il systématiquement prodiguer ?
Michel Dubourdeaux :
- Moment de la prise : à jeun ou 10–15 minutes avant un repas léger. Surtout pas après le repas, car l’acidité gastrique est trop forte.
- Durée du traitement : variable selon l’indication. Pour une antibiothérapie, on débute de préférence dès J1 et on poursuit quelques jours après la fin.
- Conservation : au sec, à température ambiante stable. Ne pas stocker en salle de bain ou en voiture.
Nous avons choisi de garantir la stabilité à température ambiante sans chaîne du froid, grâce à des souches robustes et un conditionnement adapté.
Enfin, pour une bonne efficacité, il est essentiel de veiller à la cohérence globale du mode de vie du patient. Une alimentation trop transformée peut nuire à l’effet attendu du probiotique.
* Aw : activiy of water – activité de l’eau
Source : 1 – Takada K, et al. Front Immunol. 2023 Jan 31;14:1110001.