Wegovy® (sémaglutide) : « Une prévention du risque cardiovacsulaire inégalé » entretien exclusif avec le Dr Isabelle Lonjon-Domanec (Novo Nordisk)
À l’ESC 2025, l’étude STEER a confirmé un signal fort : Wegovy® (sémaglutide 2,4 mg) réduit de 57 % le risque d’événement cardiovasculaire majeur par rapport au tirzépatide. Dans cet entretien, le Dr Isabelle Lonjon-Domanec, directrice médicale de Novo Nordisk, décrypte ces données et revient sur la place unique du sémaglutide dans la prévention cardiovasculaire.

L’obésité est une maladie chronique aux multiples dimensions : pathologie métabolique, état inflammatoire de bas grade et facteur de risque cardiovasculaire. Ses complications dépassent largement la question pondérale : deux tiers des décès chez les patients obèses sont d’origine cardiovasculaire.
À l’ESC 2025, deux jeux de données majeurs ont retenu l’attention.
L’étude SURMOUNT-5 a confirmé la supériorité pondérale du tirzépatide, avec une perte de poids moyenne de 20,2 % contre 13,7 % pour le sémaglutide. En parallèle, l’étude STEER a mis en avant un avantage cardiovasculaire décisif pour le sémaglutide, avec une réduction significative des événements cardiovasculaires majeurs en vie réelle.

Dr Isabelle Lonjon-Domanec (Novo Nordisk)
Pourquoi parler des maladies cardiovasculaires quand on parle d’obésité ?
Isabelle Lonjon-Domanec — Directrice médicale, Novo Nordisk : Le sujet est pertinent parce qu’on parle de maladies cardiovasculaires, et on sait qu’aujourd’hui, chez les patients en situation d’obésité, deux tiers des décès sont d’origine cardiovasculaire.
On parle beaucoup du poids, mais il y a toutes les complications – et parmi elles, les maladies cardiovasculaires, à l’origine du décès au fil du temps.
Les autorités ne s’y sont pas trompées : dans les maladies métaboliques, des études de sécurité cardiovasculaire (CVOT) sont demandées pour s’assurer qu’un traitement n’est pas délétère.
On a eu par le passé des cas problématiques (par ex. benfluorex/Mediator®). D’où l’obligation actuelle de conduire ces CVOT.
Que montre SELECT avec le sémaglutide ?
I.L.-D. : SELECT est une étude randomisée, versus placebo, menée chez ≈ 17 000 patients.
Cette étude a montré une réduction de 20 % du risque de MACE (infarctus du myocarde, AVC, décès), chez des patients avec antécédents cardiovasculaires, sans diabète.
Ce bénéfice est aujourd’hui intégré au RCP dans la rubrique “études cliniques”.
Les données de « vraie vie » confirment-elles ce signal ?
I.L.-D. : Oui. Après SELECT, on a regardé la vraie vie. SCORE l’avait déjà suggéré.
La nouveauté présentée à l’ESC 2025, c’est STEER : une étude rétrospective de vie réelle dans une grande base américaine (Komodo Research), comparant des patients sous sémaglutide (Wegovy® 2,4 mg) à des patients sous tirzépatide.
La cohorte inclut des sujets ≥ 45 ans, en surpoids/obésité, avec maladie cardiovasculaire, et sans diabète. Les patients ont été appariés sur de nombreux facteurs (âge, poids, antécédents…). Environ 10 000 par groupe [NDLR : 10 625 vs 10 625].
Résultats :
- En analyse “on-treatment” (pas d’interruption > 30 jours), on observe une réduction de 57 % du MACE avec Wegovy® : 15 événements (≈ 0,1 %) sous sémaglutide vs 39 (≈ 0,4 %) sous tirzépatide. Le suivi moyen est d’environ 3,8 mois (Wegovy®) vs 4,3 mois (tirzépatide).
- En population globale (toutes personnes traitées, interruptions incluses), la réduction est de 29 % (suivi moyen 8,3 vs 8,6 mois).
Cela renforce l’idée que le bénéfice cardiovasculaire observé avec le sémaglutide est robuste et ne peut pas être extrapolé à d’autres GLP-1 ou aux agonistes GIP/GLP-1.
Ce bénéfice est-il uniquement lié à la perte de poids ?
I.L.-D. : Non.
Dans SELECT, nos résultats étaient indépendants de la perte pondérale : même avec une perte modeste, on observait un bénéfice cardiovasculaire.
La perte de poids contribue, mais ce n’est pas le seul facteur. Les mécanismes plausibles combinent une baisse de l’inflammation (par ex. CRP), une réduction de la pression artérielle, et des effets vasculaires. La localisation de la graisse compte : l’adiposité abdominale/viscérale porte un risque CV plus marqué que d’autres répartitions (gynoïde, etc.). Le tour de taille est donc un marqueur clinique utile à intégrer au suivi.
À quelle vitesse les courbes se séparent-elles ?
I.L.-D. : Dans SELECT, la séparation des courbes survient tôt, dès les premiers mois, avant la perte pondérale maximale. C’est un argument en faveur d’un effet au-delà de l’amaigrissement.
Que sait-on après arrêt du traitement (poids et CV) ?
I.L.-D. : À l’arrêt, on observe en moyenne une reprise d’environ 70 % du poids perdu : c’est typique d’une maladie chronique. Pour le bénéfice cardiovasculaire, il nous faut plus de recul ; difficile de dire s’il persiste ou s’il se dissipe avec le temps.
Le sémaglutide est-il cité dans les recommandations ? Et les perspectives réglementaires ?
I.L.-D. : Depuis 2024, les guidelines de l’ESC mentionnent explicitement le sémaglutide (et pas la classe) en prévention cardiovasculaire chez les coronariens – ce qui reflète un niveau de preuve élevé.
Sur le plan réglementaire, le médicament a été développé et autorisé dans le diabète et le contrôle du poids. Une indication “prévention CV” en tant que telle n’est pas à l’ordre du jour. Les cardiologues s’y intéressent beaucoup, mais nous nous référons aux AMM actuelles.
L’inflammation joue-t-elle un rôle central ?
I.L.-D. : Oui, on est face à une maladie chronique inflammatoire et métabolique.
On a montré avec le sémaglutide une baisse de la CRP, une diminution de la tension artérielle ; cela agit sur le système vasculaire.
Il existe aussi des données animales suggérant une action sur la neuro-inflammation ; des résultats étaient attendus dans la maladie d’Alzheimer. Cela reste à préciser chez l’humain, mais c’est une piste cohérente avec l’effet anti-inflammatoire.
Où situez-vous ces données par rapport aux autres traitements amaigrissants ?
I.L.-D. : Il ne faut pas considérer que deux médicaments qui font perdre du poids auront le même bénéfice cardiovasculaire.
Aujourd’hui, le sémaglutide est le seul à avoir démontré un effet CV : – 20 % de MACE dans une RCT (SELECT) et des confirmations en vraie vie (SCORE, STEER).
D’autres molécules montrent des pertes de poids importantes, mais l’effet CV n’a pas été établi de la même façon.
Quels messages clés pour l’officine ?
I.L.-D. : Personnaliser la stratégie selon le profil du patient : poids et risque CV. Suivre des marqueurs simples et parlants comme le tour de taille.
Expliquer la chronicité de l’obésité, qui n’est pas une question esthétique mais un enjeu pronostique (apnée du sommeil, arthrose, diabète, maladies cardiovasculaires).