VIH : « Les injectables transforment la vie des patients, et les pharmaciens ont un rôle à jouer »

Alors que la lutte contre le VIH continue d’évoluer, ViiV Healthcare, laboratoire entièrement dédié à cette pathologie, mise sur une innovation de rupture : les traitements injectables à longue durée d’action. Dans cet entretien exclusif, le Dr Zeina Eid Antoun, directrice médicale de ViiV Healthcare, revient pour Pharma365 sur ces nouvelles options thérapeutiques, l’importance du rôle officinal, et les perspectives à venir.

Par Thomas Kassab, publié le 05 juin 2025

VIH : « Les injectables transforment la vie des patients, et les pharmaciens ont un rôle à jouer »

ViiV Healthcare est un laboratoire atypique. Pouvez-vous nous en dire plus sur sa singularité ?

Dr Zeina Eid Antoun : ViiV Healthcare est un laboratoire international né d’une alliance entre GSK, Pfizer et Shionogi. Notre spécificité : être totalement dédié à la lutte contre le VIH. Nous disposons d’une quinzaine de médicaments et sommes engagés tant sur l’innovation que sur l’accès mondial aux traitements, notamment via des licences ouvertes à des génériqueurs. En France, notre filiale est la second du groupe après les États-Unis.

Vous orientez votre R&D vers des traitements injectables à longue durée d’action. Pourquoi ce choix ?

Dr Zeina Eid Antoun : Parce que même si les traitements oraux actuels sont efficaces, ils ne conviennent pas à tous. Certains patients vivent dans des environnements où la stigmatisation est forte : montrer des comprimés, c’est potentiellement révéler sa séropositivité. D’autres évoquent une lassitude, des effets secondaires, ou des difficultés liées au mode de vie. L’objectif est donc de proposer une alternative qui allège la charge mentale, réduit le poids de la maladie, et favorise une meilleure observance.

Quel est le traitement injectable actuellement disponible ?

Dr Zeina Eid Antoun : Il s’agit d’une bithérapie complète : Vocabria® et Rekambys®, injectés tous les deux mois par voie intramusculaire. En France, elle est disponible depuis 2021. Après une première injection à l’hôpital, les suivantes peuvent être réalisées en ville, par un médecin ou une infirmière. Ce protocole transforme le quotidien : les patients n’ont plus à penser à leur traitement au quotidien et témoignent d’un réel soulagement psychologique.

Cela semble pourtant paradoxal : un traitement injectable impose de ne pas rater son rendez-vous…

Dr Zeina Eid Antoun : C’est un point essentiel. Il faut, en effet, respecter des intervalles précis, mais des fenêtres de tolérance existent, ainsi qu’un relais oral temporaire en cas d’impossibilité. Surtout, ce traitement n’est pas pour tout le monde : il s’adresse à ceux pour qui le schéma oral est inadapté. C’est une option complémentaire, pas une substitution systématique.

Comment est évaluée la tolérance de ces injections à longue durée d’action ?

Dr Zeina Eid Antoun : Nous avons plus de dix ans de recul en vie réelle. Les effets indésirables les plus fréquents sont des réactions locales transitoires (douleurs, rougeurs), mais aucun signal grave n’a été observé. Une phase orale de test existe (avec les mêmes principes actifs : cabotégravir et rilpivirine), mais elle est de moins en moins utilisée par les cliniciens en France.

Concernant la PrEP, une version injectable est-elle en cours de déploiement ?

Dr Zeina Eid Antoun : Oui, la PrEP injectable à base de cabotégravir, appelée Apretude®, a reçu son autorisation de mise sur le marché. Nous travaillons actuellement à son remboursement. Cette version s’adresse à des personnes séronégatives à haut risque, et pourrait être proposée à tous ceux qui peuvent recevoir une injection IM. Des études sur les femmes en âge de procréer sont en cours, mais les données actuelles sont rassurantes.

Le pharmacien d’officine peut-il informer ou orienter sur ces options injectables ?

Dr Zeina Eid Antoun : Bien sûr. Tout professionnel de santé peut expliquer qu’une alternative injectable existe. Cela ne remplace pas la consultation médicale, mais cela permet d’ouvrir le dialogue avec des patients qui ignorent que cette possibilité existe. Le pharmacien est un acteur clé de proximité, notamment auprès des jeunes ou des populations migrantes, souvent touchées en première année sur le territoire.

Qu’en est-il des perspectives à plus long terme : injection semestrielle, sous-cutanée, vaccin… ?

Dr Zeina Eid Antoun : Nous développons actuellement une formulation injectable tous les quatre mois, et explorons la piste du semestriel, voire de l’annuel. Des essais sont en cours, particulièrement pour une administration sous-cutanée, mais cela pose encore des problèmes de tolérance. Quant au vaccin, les espoirs demeurent, mais le VIH est un virus complexe, à forte variabilité génétique. C’est un véritable défi scientifique. En attendant, notre pipeline s’étoffe pour proposer toujours plus de solutions innovantes et adaptées.

Un mot pour conclure à destination des pharmaciens ?

Dr Zeina Eid Antoun : Vous avez un rôle capital à jouer. Le dépistage, la prévention, la sensibilisation, le conseil sur la PrEP ou les nouvelles formes galéniques : tout cela passe aussi par vous. Demain, pourquoi pas l’administration des injections en officine ? Comme pour la vaccination, lever les freins logistiques, ce serait une avancée majeure pour les patients.