Les Assises du Cannabis Médical : entretien exclusif avec Madame la Sénatrice Anne Souyris

À l'occasion des Assises du Cannabis Médical, nous avons eu le privilège d'interviewer Anne Souyris, sénatrice de Paris (Île-de-France), pour obtenir un aperçu approfondi sur l'expérimentation du cannabis médical en France. Mme Souyris a partagé avec nous les principaux enseignements tirés de cette expérimentation, les défis à surmonter, et les perspectives d'avenir pour l'intégration du cannabis thérapeutique dans le système de santé français. Cet entretien offre un éclairage précieux sur les progrès réalisés et les priorités à venir pour garantir un accès sécurisé et efficace à ce traitement prometteur.

Par Thomas Kassab, publié le 05 juin 2024

Les Assises du Cannabis Médical : entretien exclusif avec Madame la Sénatrice Anne Souyris
Mme Anne SOUYRIS, sénatrice de Paris (Ile-de-France)

Mme Anne SOUYRIS, sénatrice de Paris (Ile-de-France)

Quels sont les principaux enseignements tirés de l’expérimentation du cannabis médical en France ?

Anne Souyris : Les résultats de l’expérimentation, qui a débuté en mars 2021 et a concerné 3 035 patients, ont démontré l’efficacité du cannabis médical pour plusieurs indications. Les cinq indications thérapeutiques retenues sont les suivantes : les douleurs neuropathiques réfractaires, certaines formes d’épilepsie rares, les symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou aux traitements anticancéreux, les situations palliatives, et la spasticité douloureuse liée à la sclérose en plaques ou à d’autres pathologies du système nerveux central. Cette expérimentation a permis d’observer une amélioration significative de la qualité de vie des patients pour ces pathologies spécifiques. Le Comité Scientifique Temporaire (CST) de l’ANSM a assuré le suivi de cette expérimentation, garantissant une rigueur scientifique et une évaluation continue des résultats obtenus​​.

Quel est le nombre de patients concernés actuellement par ces indications et combien pourraient être concernés si les indications étaient élargies ?

Anne Souyris : Actuellement, il est difficile de donner un chiffre précis sur le nombre de patients concernés, mais nous savons que les indications actuelles touchent un nombre significatif de personnes. Si les indications étaient élargies, notamment pour remplacer les opioïdes dans le traitement de la douleur chronique, le nombre de patients bénéficiant du cannabis médical pourrait augmenter considérablement. Il est important de noter que le cannabis médical présente moins de risques d’effets secondaires et d’addiction par rapport aux opioïdes, ce qui pourrait transformer la prise en charge de nombreuses pathologies chroniques. La réduction de l’usage des opioïdes et la diminution des effets secondaires associés seraient des avancées majeures pour la santé publique​​.

Vous avez mentionné des restrictions sur la vaporisation des sommités fleuries de cannabis. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Anne Souyris : En effet, l’usage des sommités fleuries de cannabis par vaporisation a été exclu de l’expérimentation pour des raisons qui semblent davantage politiques qu’éclairées par des considérations sanitaires. La vaporisation est pourtant une méthode efficace pour traiter les crises aiguës paroxystiques. Cette décision pourrait être motivée par des craintes de mésusage ou de détournement à des fins non médicales, mais aucune justification sanitaire n’a été fournie. Cette situation est regrettable, car elle prive les patients d’un mode d’administration rapide et efficace. L’une des grandes priorités est de réintégrer cette méthode dans les futures prescriptions pour garantir une meilleure prise en charge des patients​​.

En ce qui concerne les formes galéniques des médicaments à base de cannabis, quelles sont les options privilégiées ?

Anne Souyris : À ce stade, les huiles sont la forme galénique privilégiée. Cependant, il y a un manque de clarté sur les modalités de prescription et de distribution de ces médicaments. Il est crucial de définir ces aspects pour assurer une intégration réussie dans le système de santé. Nous devons également veiller à ce que les pharmaciens soient correctement formés et informés sur l’utilisation de ces nouveaux traitements pour éviter tout malentendu ou mésusage​​.

Comment garantir une délivrance correcte et éviter le trafic de ces nouveaux médicaments ?

Anne Souyris : Les mesures de contrôle seront similaires à celles en vigueur pour les stupéfiants. L’adoption d’ordonnances électroniques authentifiées via la carte vitale pourrait prévenir les fausses ordonnances et garantir une délivrance sécurisée. Cependant, les risques d’abus ne me semblent pas un enjeu majeur au vu de la faible dépendance que le cannabis cause, à la différence des opiacées ou pire des opioïdes de synthèse.

La souveraineté de la production de ces médicaments en France est-elle une priorité ?

Anne Souyris : Absolument. La production française de médicaments à base de cannabis est essentielle pour garantir la souveraineté sanitaire et éviter les ruptures de stock. La crise sanitaire a montré l’importance de disposer de chaînes de production locales et résilientes. Actuellement, certaines productions se font en Europe, notamment au Portugal, mais il est impératif d’établir des sites de production en France. Cela permettrait non seulement de sécuriser l’approvisionnement, mais aussi de contrôler la qualité des produits et de stimuler l’économie locale​​.

Quels modèles internationaux pourraient inspirer la France dans la mise en œuvre de son cadre réglementaire pour le cannabis médical ?

Anne Souyris : Plusieurs pays, comme les Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Portugal, le Canada et Israël, ont déjà intégré le cannabis médical dans leurs systèmes de santé avec succès. Ces modèles montrent qu’une production contrôlée et une réglementation claire peuvent répondre efficacement aux besoins des patients. Par exemple, le Canada et Israël ont développé des infrastructures robustes pour la production et la distribution du cannabis médical, assurant ainsi une qualité constante et une disponibilité continue. La France peut s’inspirer de ces expériences pour développer un cadre réglementaire qui répond aux attentes des patients et des professionnels de santé​​.

Quelles sont les prochaines étapes et priorités pour assurer le succès de l’intégration du cannabis médical en France ?

Anne Souyris : Les résultats de l’expérimentation seront disponibles avant la fin de l’année 2025. Il est fondamental de collaborer avec tous les acteurs concernés, y compris les industriels et les pharmaciens, pour élaborer un schéma de commercialisation, de formation et de contrôle. Malheureusement, nous observons actuellement un manque de dialogue et de structuration, ce qui est préoccupant. Il est impératif d’aborder ces questions dès maintenant pour être prêts en 2025. Les Assises du Cannabis Médical visent à rassembler toutes les parties prenantes pour identifier les obstacles et les moyens de les surmonter efficacement​​.

Un dernier mot pour conclure ?

Anne Souyris : Les Assises ont été un moment important pour rassembler tous les acteurs de la filière et amorcer un dialogue essentiel. J’espère que cet événement incitera le ministère de la Santé à prendre des mesures concrètes rapidement. Je continuerai à œuvrer pour que les professionnels de santé soient bien informés et prêts à intégrer le cannabis médical dans leurs pratiques. Les défis à venir incluent la production française, la transparence du médicament, la fin de la stigmatisation, l’extension des champs d’utilisation à d’autres pathologies, et la formation des professionnels de santé. Nous devons être proactifs et anticiper ces besoins pour assurer une mise en œuvre réussie en 2025​​.