Grippe : la HAS plébiscite deux vaccins… que les Français risquent de ne pas recevoir

Revirement de doctrine pour la Haute Autorité de santé : Efluelda et Fluad sont désormais recommandés chez les plus de 65 ans. Mais faute de remboursement et d’accord commercial, leur accès reste largement hypothétique en France.

Par Thomas Kassab, publié le 12 mai 2025

Grippe : la HAS plébiscite deux vaccins… que les Français risquent de ne pas recevoir

Une recommandation en rupture

C’est une petite révolution dans la stratégie vaccinale contre la grippe saisonnière. Le 9 mai 2025, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié une recommandation inattendue : les vaccins antigrippaux à haute valeur ajoutée – Efluelda (Sanofi) et Fluad (Vifor France) – doivent être privilégiés chez les personnes âgées de 65 ans et plus, en lieu et place des vaccins standards jusqu’ici majoritairement utilisés.
Le premier est un vaccin quadrivalent fortement dosé en antigènes (60 µg contre 15 µg dans les vaccins classiques), le second un vaccin trivalent contenant un adjuvant (MF59C.1) destiné à renforcer la réponse immunitaire. Une reconnaissance tardive mais bienvenue, après plusieurs hivers où ces options étaient pourtant déjà plébiscitées par des sociétés savantes comme la Société française de gériatrie et gérontologie.

Un paradoxe français

Problème : ces vaccins sont aujourd’hui absents du calendrier vaccinal français remboursé. En cause, des désaccords tarifaires persistants entre les laboratoires et le Comité économique des produits de santé (CEPS), mais aussi des lenteurs administratives.
Lors de la campagne 2024-2025, Efluelda n’avait pas été retenu dans sa version quadrivalente, faute d’accord sur son prix. Sa formulation trivalente, bien que dotée d’une AMM depuis fin 2024, n’est toujours pas remboursée. Quant à Fluad, il reste marginalement utilisé, hors circuit de remboursement généralisé.
Autrement dit, la HAS recommande… des vaccins que les patients ne peuvent pas se faire administrer dans des conditions normales.

Un « non-sens de santé publique », dénonce un infectiologue hospitalier sous couvert d’anonymat.

Des données solides, une mise en œuvre incertaine

Pour motiver son revirement, la HAS invoque une saison grippale 2024-2025 « particulièrement sévère » et s’appuie sur des études en vie réelle, notamment issues du Canada, de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Ces vaccins y sont intégrés depuis plusieurs années dans les stratégies ciblées sur les personnes âgées, et ont permis de réduire significativement les hospitalisations et les complications graves.

Le profil de tolérance est jugé « bon », et l’acceptabilité chez les seniors est élevée. Mais en France, cette évidence scientifique se heurte à une inertie politico-économique.
À ce jour, l’avis de la Commission de la transparence de la HAS, indispensable pour le remboursement, n’a pas encore été rendu. Il devrait être suivi d’un avis médico-économique pour Efluelda. Mais le calendrier est serré : sans décision rapide, ces vaccins ne seront pas disponibles pour la campagne 2025-2026.

L’officine dans l’impasse

Pour les pharmaciens, la situation est intenable. « On nous demande de faire de la prévention active, d’organiser des campagnes ciblées, mais on nous prive des outils les plus efficaces chez les patients les plus fragiles », confie une titulaire en zone rurale.
L’absence d’accès facilité à Efluelda et Fluad prive la profession d’un levier essentiel dans la lutte contre les formes graves de grippe. Et dans un contexte de surcharge hospitalière hivernale chronique, l’impasse pourrait peser lourd.

Et pendant ce temps, le reste du monde avance

Alors que la France tergiverse, d’autres pays ont tranché. Le Canada a inclus Efluelda dans sa stratégie publique dès 2021. Le Royaume-Uni en a généralisé l’usage dans les EHPAD. L’Italie a élargi le remboursement de Fluad aux plus de 60 ans.
Dans l’Hexagone, les seniors doivent se contenter de vaccins standards, moins immunogènes dans cette tranche d’âge. Le risque ? Un coût sanitaire et économique indirect bien supérieur aux économies réalisées sur les achats de vaccins premium.
Si l’on veut vraiment protéger nos aînés, concluent certains experts, il faudra sortir du dogme du coût unitaire pour enfin adopter une logique d’impact populationnel.