CAPVAXIVE® : “Un vaccin capable de couvrir près de 9 infections invasives sur 10”

Le lancement de CAPVAXIVE®, vaccin pneumococcique conjugué 21-valent, ajoute une nouvelle option dans la stratégie de prévention des infections invasives chez l’adulte, en particulier après 65 ans. Comment l’inscrire par rapport à PREVENAR 20® et aux anciens schémas séquentiels ? Quelle attitude adopter face aux patients déjà vaccinés, aux “faux bien-portants” et aux adultes plus jeunes demandeurs ? Entretien avec le Professeur Paul Loubet, Chef du Service des Maladies Infectieuses et Tropicales du CHU de Nîmes.

Par Thomas Kassab, publié le 05 décembre 2025

CAPVAXIVE® : “Un vaccin capable de couvrir près de 9 infections invasives sur 10”
 Pr Paul LOUBET, Chef du Service des Maladies Infectieuses ettropicales, responsable du Centre de Vaccinations Internationales (CVI) CHU de Nîmes

Pr Paul LOUBET, Chef du Service des Maladies Infectieuses et tropicales du CHUde Nîmes

La couverture vaccinale antipneumococcique adulte reste faible, autour de 10 %. Pourquoi ?

P. P. L. : Il y a plusieurs facteurs. D’abord, la maladie elle-même est peu connue du grand public. On parle beaucoup plus de la grippe ou de la Covid que des infections invasives à pneumocoque, alors qu’elles peuvent être particulièrement graves chez les personnes âgées.
Ensuite, l’ancien schéma séquentiel a laissé l’image d’une vaccination compliquée, avec plusieurs injections et des délais à respecter. Certains professionnels n’étaient pas très à l’aise avec cette stratégie.
Aujourd’hui, avec un schéma en dose unique, les choses sont beaucoup plus simples. Et, ce qui est intéressant, c’est que lorsqu’on propose la vaccination antipneumococcique de manière claire et expliquée, on a très peu de refus. On est loin des réticences rencontrées avec d’autres vaccinations récentes. Le frein est davantage lié à l’information qu’à une opposition de principe.

Qu’apporte CAPVAXIVE® par rapport aux vaccins pneumococciques déjà utilisés chez l’adulte ?

Professeur Paul Loubet : Le principal apport, c’est l’élargissement de la couverture des sérotypes responsables des infections invasives chez les adultes de plus de 65 ans. Les données du Centre national de référence du pneumocoque montrent qu’en 2023, une grande majorité des infections invasives dans cette tranche d’âge était liée à des sérotypes inclus dans CAPVAXIVE®.
Cela ne signifie pas que les vaccins précédents sont devenus inutiles, mais que CAPVAXIVE® est davantage calé sur les sérotypes qui circulent réellement aujourd’hui chez les seniors. L’idée est d’adapter l’outil de prévention à l’épidémiologie actuelle.

Pourquoi les sérotypes en cause chez l’adulte ne sont-ils pas forcément les mêmes que chez l’enfant ?

P. P. L. : Les programmes de vaccination pédiatrique ont profondément modifié la circulation des sérotypes. Quand on vaccine massivement les enfants avec des vaccins conjugués, on fait reculer les sérotypes ciblés, et d’autres prennent leur place dans la population.
Les adultes ne sont donc pas exposés aux mêmes profils qu’avant, ni aux mêmes profils que les enfants. Certains sérotypes ont reculé, d’autres se sont installés davantage chez l’adulte.
Un vaccin conçu pour l’adulte doit tenir compte de cette réalité : ce sont les sérotypes impliqués dans les infections invasives de l’adulte qui ont servi de base à la composition du 21-valent.

Comment CAPVAXIVE® s’inscrit-il par rapport aux schémas vaccinaux existants ?

P. P. L. : On est passé pendant des années par un schéma séquentiel PREVENAR 13® puis PNEUMO 23®, qui a été jugé parfois complexe à mettre en œuvre. En 2023, les recommandations ont évolué vers un schéma simplifié en dose unique avec PREVENAR 20®.
Depuis 2025, CAPVAXIVE® est positionné au même niveau que PREVENAR 20® chez les adultes éligibles. Les personnes concernées par la vaccination peuvent recevoir l’un ou l’autre, toujours en une seule injection.
Le changement majeur, c’est vraiment la simplification en dose unique. CAPVAXIVE® vient s’ajouter comme une option supplémentaire, avec un spectre sérotypique différent, mais sans remettre en cause cette logique de simplification.

Que faire en pratique chez les patients qui ont déjà été vaccinés auparavant ?

P. P. L. : Pour les anciens schémas, on garde la logique habituelle. Si le patient a reçu un schéma séquentiel incomplet, c’est-à-dire uniquement PREVENAR 13® ou uniquement PNEUMO 23®, on attend un an avant de proposer un vaccin conjugué récent, que ce soit PREVENAR 20® ou CAPVAXIVE®.
Si le schéma séquentiel PREVENAR 13® + PNEUMO 23® a été complet, on attend cinq ans avant de proposer un nouveau vaccin conjugué.
La situation la plus délicate, ce sont les adultes qui ont déjà reçu PREVENAR 20®. Pour l’instant, on ne recommande pas de revacciner ces personnes avec CAPVAXIVE®. Il n’y a pas de données ni de recommandation dans ce sens à ce jour. La Haute Autorité de santé doit se prononcer, probablement au début de l’année 2026, notamment pour les profils très à risque comme les personnes immunodéprimées.

L’immunosénescence fait poser la question des rappels. Peut-on envisager une revaccination après 75 ou 80 ans ?

P. P. L. : C’est une question très logique, parce qu’on sait que la réponse immunitaire diminue avec l’âge. La difficulté, c’est que nous n’avons pas encore suffisamment de recul avec ces nouveaux vaccins pour mesurer la durée de protection réelle chez les personnes très âgées.
Il faudra suivre les cohortes vaccinées, regarder comment évoluent les titres d’anticorps et voir s’il existe une augmentation des infections invasives à distance de la vaccination malgré la dose unique.
Si on observe une décroissance importante, la question d’un rappel se posera naturellement. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas les éléments pour dire à quel moment, ni à quelle fréquence, il faudrait revacciner.

Une partie des infections invasives touche des seniors “sans comorbidité”. Comment leur faire comprendre qu’ils sont quand même concernés ?

P. P. L. : Beaucoup de personnes de 65 ou 70 ans se sentent en pleine forme, ce qui est une bonne nouvelle, mais les conduit à penser qu’elles ne sont pas concernées. Or on sait que l’âge, à lui seul, augmente le risque d’infections graves, même sans autre pathologie identifiée.
Ce qui fonctionne le mieux, c’est d’insister sur le fait que la vaccination sert à préserver l’état de santé actuel. L’objectif n’est pas de médicaliser quelqu’un qui va bien, mais de l’aider à rester dans cette situation le plus longtemps possible, plutôt que d’attendre l’apparition d’une maladie chronique ou d’une complication pour agir.

Qu’observe-t-on en termes de tolérance et de contre-indications éventuelles ?

P. P. L. : Les profils de tolérance de ces vaccins conjugués sont globalement similaires. Les effets les plus fréquents restent la douleur au point d’injection, une fatigue passagère, parfois des myalgies ou des céphalées. CAPVAXIVE® ne se distingue pas particulièrement de PREVENAR 20® sur ce plan.
Il n’y a pas de contre-indications particulières liées aux traitements, y compris chez les patients sous immunosuppresseurs. Les personnes ayant une insuffisance d’organe avancée, une BPCO ou une cardiopathie ne sont pas des profils à écarter, bien au contraire : ce sont justement des patients à risque, chez qui la vaccination est particulièrement importante.

Si une personne de 40 ans demande à être vaccinée “pour ne pas tomber malade”. Comment réagir ?

P. P. L. : Il n’y a pas de risque particulier à vacciner un adulte hors des recommandations, du moment qu’il n’y a pas de contre-indication au vaccin lui-même. Ce qui n’a pas été évalué, c’est le bénéfice précis dans ces tranches d’âge sans facteur de risque majeur. Les recommandations se concentrent sur les plus de 65 ans et sur les personnes à risque parce que le fardeau de maladie est beaucoup plus important dans ces populations.
Si un adulte plus jeune exprime une demande de vaccination, il est possible de le faire, en expliquant simplement qu’il n’entre pas dans le cadre des recommandations actuelles, mais qu’il n’y a pas d’argument de sécurité qui s’y oppose. D’ailleurs, certains pays ont choisi de commencer la vaccination antipneumococcique à des âges plus bas, autour de 60 ans.

Pourquoi ce seuil des 65 ans ?

P. P. L. : C’est d’abord un choix de cohérence et de lisibilité. Beaucoup de programmes de vaccination adultes reposent sur ce seuil : grippe, Covid, zona, et maintenant pneumocoque.
Avoir un âge pivot commun simplifie les choses pour tout le monde : les patients, les médecins, les pharmaciens. Cela évite de multiplier les repères différents, qui rendent les messages de prévention difficiles à suivre.
Ce n’est pas un seuil “biologique” précis, c’est un repère pratique autour duquel on organise la prévention à long terme.

Que sait-on de la co-administration avec les autres vaccins du “carrefour” des 65 ans

P. P. L. : La co-administration avec le vaccin grippe a été évaluée, ce qui permet de vacciner contre le pneumocoque et la grippe lors de la même consultation ou du même passage en pharmacie.
Pour les autres vaccins, comme ceux contre la Covid, le zona ou le VRS, je ne suis pas certain que l’ensemble des combinaisons ait été étudié.
Cela ne veut pas dire qu’il existe un risque, mais simplement que ce n’est pas documenté. De manière générale, co-administrer des vaccins n’expose pas à des problèmes de sécurité particuliers. On peut parfois observer une légère diminution de la réponse immunitaire pour l’un des vaccins, mais on ne sait pas toujours ce que cela signifie en termes de protection clinique.
En pratique, je serais assez pragmatique : lorsqu’un patient est présent, qu’il est d’accord pour être vacciné et qu’il est éligible à plusieurs vaccins, il ne faut pas hésiter à en faire plusieurs le même jour plutôt que de rater l’occasion.

Le débat sur une éventuelle obligation vaccinale des soignants revient régulièrement. Qu’en pensez-vous ?

P. P. L. : Je pense qu’on doit d’abord viser la conviction plutôt que la contrainte. Lorsque les soignants sont eux-mêmes convaincus de l’intérêt de la vaccination, ils portent un message cohérent auprès des patients, et cela a un impact réel sur l’adhésion. À l’inverse, si on impose une vaccination à des professionnels qui n’y croient pas, on risque d’avoir des discours contradictoires : une personne vaccinée parce qu’elle y est obligée peut très bien continuer à relativiser l’intérêt de cette vaccination auprès de ses patients, ce qui n’aide personne.
L’enjeu, c’est donc d’améliorer la compréhension, de répondre aux inquiétudes et de rappeler le rôle de protection des personnes fragiles que nous avons en tant que soignants.