Tatouages : un nouveau facteur de risque du mélanome ?

Alors que le tatouage s’est largement banalisé, une vaste étude suédoise interroge son innocuité à long terme. En mettant en évidence une augmentation de près de 30 % du risque de mélanome chez les personnes tatouées, sans preuve formelle de causalité, ces travaux rouvrent le débat sur le rôle des encres, de l’inflammation cutanée et de la surveillance dermatologique. Un signal faible, mais à ne pas ignorer en officine.

Par Thomas Kassab, publié le 15 décembre 2025

Tatouages : un nouveau facteur de risque du mélanome ?

Mélanome et tatouages : deux courbes qui progressent en parallèle

L’incidence du mélanome malin n’a cessé d’augmenter au cours des trois dernières décennies, un phénomène principalement attribué à l’exposition aux rayonnements ultraviolets. Mais d’autres facteurs environnementaux pourraient intervenir. Parmi eux, les composés chimiques présents dans les encres de tatouage, notamment certains hydrocarbures aromatiques polycycliques, attirent de plus en plus l’attention des chercheurs.

En Suède, comme en France, environ 20 % de la population est tatouée, une proportion qui dépasse 40 % chez les femmes de moins de 40 ans. Le premier tatouage est le plus souvent réalisé entre 18 et 35 ans, parfois plus précocement. Or cette généralisation du tatouage s’est produite parallèlement à la hausse des mélanomes, ce qui a conduit des chercheurs suédois à explorer un éventuel lien.

Une étude cas-témoins nationale de grande ampleur

Les auteurs ont mené une étude cas-contrôle à partir du registre national suédois des cancers, connu pour son exhaustivité. Ont été inclus tous les sujets âgés de 20 à 60 ans diagnostiqués en 2017 pour un naevus très dysplasique, un mélanome in situ ou un mélanome invasif.

Chaque cas a été apparié à trois témoins de même âge et de même sexe, sélectionnés aléatoirement dans la population générale. L’exposition aux tatouages a été évaluée par questionnaire détaillé, prenant en compte les tatouages décoratifs, cosmétiques ou médicaux, y compris ceux retirés. Les principaux facteurs de confusion ont été intégrés à l’analyse : exposition solaire professionnelle et récréative, antécédents de coups de soleil, usage des cabines UV, phototype et tabagisme.

Un risque accru de 29 % chez les personnes tatouées

Au total, près de 6 000 participants ont été analysés. La prévalence globale des tatouages était de 21 %. Parmi les patients atteints de lésions mélanocytaires, 22 % avaient été tatoués avant le diagnostic, contre 20 % chez les témoins.

Après ajustement statistique, les résultats montrent une augmentation de 29 % du risque de naevus très dysplasique et de mélanome cutané chez les personnes tatouées (RR = 1,29 ; IC 95 % : 1,07–1,56). Lorsque seuls les premiers diagnostics de mélanome sont considérés, l’augmentation du risque reste significative, de l’ordre de 23 %.

Les auteurs soulignent que ce sur-risque demeure nettement inférieur à celui lié aux UV, estimé à un facteur cinq, mais suggèrent qu’un tatouage situé sur une zone photo-exposée pourrait majorer l’effet délétère des UV.

Localisation et types de mélanomes concernés

Fait notable, lorsque l’information était disponible, 30 % des mélanomes siégeaient au même endroit que le tatouage. Le signal semblait particulièrement marqué pour deux sous-types : les mélanomes invasifs et les mélanomes in situ.

Les encres utilisées étaient majoritairement noires ou colorées, et les tatouages plutôt de petite taille. Aucun lien clair n’a été établi avec le caractère professionnel ou non du tatoueur.

Pas de causalité démontrée, mais un signal à ne pas ignorer

Les auteurs restent prudents : cette étude met en évidence une association statistique, mais ne permet pas de conclure à un lien causal direct entre tatouage et mélanome. Les mécanismes biologiques potentiels — exposition chronique à des substances chimiques, inflammation locale prolongée, interaction avec les UV — restent à explorer.

D’autres études épidémiologiques seront nécessaires pour confirmer ou infirmer ce signal.

Quel message pour l’officine ?

Pour l’officine, l’enjeu n’est pas d’inquiéter inutilement, mais de renforcer la vigilance clinique :

  • rappeler que la photoprotection reste le levier majeur de prévention du mélanome ;
  • inciter à une surveillance attentive des naevus et lésions pigmentaires, en particulier lorsqu’ils sont situés dans ou à proximité d’un tatouage ;
  • orienter sans délai vers un médecin ou un dermatologue en cas de lésion suspecte ou évolutive.

Chez les patients jeunes, souvent très tatoués et parfois peu sensibilisés aux risques solaires, le rôle de conseil est particulièrement stratégique.

Ce qu’il faut retenir

  • Une étude suédoise suggère une augmentation modérée du risque de mélanome chez les personnes tatouées.
  • Le lien causal n’est pas établi et les UV restent le facteur de risque majeur.
  • La vigilance dermatologique doit être renforcée chez les patients tatoués, sans discours anxiogène.