Pharmacies en danger : l’USPO tire la sonnette d’alarme sur la financiarisation
Sous des montages financiers souvent opaques, la financiarisation gagne du terrain en officine. L’USPO tire la sonnette d’alarme avec un rapport choc remis aux autorités : perte d’indépendance des titulaires, démantèlement du maillage territorial, pression sur la rentabilité… En présence de la sénatrice Corinne Imbert, la conférence de presse du 23 mai a dénoncé un phénomène qui menace jusqu’à l’éthique même de la profession.

« L’indépendance du pharmacien ne se négocie pas »
Tel est le mot d’ordre du dernier rapport de l’USPO, dévoilé ce 23 mai en conférence de presse. Devant une cinquantaine de participants et en présence de la sénatrice Corinne Imbert, Pierre-Olivier Variot, président du syndicat, a présenté un état des lieux inquiétant sur l’immixtion croissante d’acteurs financiers dans la gestion officinale. Un phénomène qu’il qualifie sans détour de « menace existentielle pour le maillage territorial, la qualité des soins et l’éthique professionnelle ».
Un rapport pour documenter les dérives
Élaboré par le Comité Indépendance de l’USPO avec le concours de l’Ordre des pharmaciens, la FSPF, la CAVP et la NEF, ce rapport a été transmis en amont à l’IGAS, au ministère de la Santé et à la DGE. « Ce travail part de constats récurrents en commission de pénalités : à chaque fois qu’une officine était impliquée dans des surfacturations, un acteur financier était derrière, imposant des consignes contraires à la déontologie », explique Pierre-Olivier Variot.
« Il ne s’agit pas de cas isolés mais d’un mouvement organisé, opaque, qui se renforce année après année. » L’USPO cite ainsi des montages imposant aux titulaires des plafonds de dépenses, des obligations de validation des embauches, ou des extractions comptables automatisées en faveur d’investisseurs externes. « On transforme le pharmacien en simple exécutant, dépossédé de sa marge de manœuvre », dénonce-t-il.
Un phénomène insidieux et multiforme
Guillaume Racle, contributeur majeur du rapport, a insisté sur la complexité des mécanismes en jeu : « Les montages ne se limitent pas aux obligations convertibles. Ils s’infiltrent aussi via l’immobilier, les prestations de conseil ou les pactes occultes. » L’USPO rapporte notamment que des sociétés civiles immobilières imposent des loyers surévalués, véritable siphon de trésorerie au profit de fonds d’investissement.
La sénatrice Corinne Imbert, très active sur ce sujet au Sénat, confirme : « Après les cliniques, les laboratoires de biologie ou l’imagerie médicale, c’est désormais la pharmacie de ville qui est ciblée. Pourtant, la loi est claire : aucun non-pharmacien ne peut détenir une officine. Mais les financiers contournent les règles. »
Trois risques majeurs pour la santé publique
Le rapport identifie trois dangers principaux :
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La perte d’indépendance professionnelle : des décisions cliniques conditionnées à des impératifs de rentabilité, voire à des objectifs de facturation.
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Le démantèlement du maillage officinal : « La financiarisation pousse à concentrer, absorber, et délaisser les zones rurales jugées non rentables », prévient P.-O. Variot. Le risque ? Des déserts pharmaceutiques.
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Une hausse des coûts pour les patients et l’Assurance maladie : comme dans d’autres secteurs, « l’effet à long terme, c’est la surconsommation, les actes inutiles, les dépenses injustifiées », alerte Gilles Bonnefond (CNAM).
Des propositions concrètes pour freiner le phénomène
L’USPO refuse de considérer cette financiarisation comme inéluctable. « Ce discours est celui des fonds eux-mêmes », ironise Guillaume Racle. Parmi les 15 leviers détaillés dans le rapport :
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Création d’un observatoire national dédié ;
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Mise en place d’un parrainage officiel entre titulaires expérimentés et jeunes installés ;
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Encadrement des formations à la faculté pour éviter les intrusions commerciales ;
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Obligation de transparence totale des conventions financières, avec dépôt préalable à l’Ordre ;
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Inversion de la charge de la preuve en cas de litige : « ce n’est pas au pharmacien de démontrer son indépendance, c’est au financeur de prouver qu’il ne l’influence pas. »
Un rapport encore confidentiel, mais déterminant
Le rapport complet sera rendu public le 17 septembre, lors d’une remise officielle au ministre de la Santé. D’ici là, une synthèse est disponible sur demande auprès de l’USPO. « Notre objectif, c’est d’agir avant qu’il ne soit trop tard. La financiarisation s’amplifie, parfois de manière masquée. Il faut alerter, documenter, protéger », martèle P.-O. Variot.
En parallèle, la DGE envisage une concertation interprofessionnelle à l’automne, pour examiner les propositions du rapport et anticiper les implications réglementaires.