Pharmaciens prescripteurs : le Royaume-Uni montre la voie

En Angleterre, les pharmaciens cliniciens peuvent prescrire, diagnostiquer et assurer le suivi de certaines pathologies, en coordination avec les médecins. Pour Dany Ros, Advanced Clinical Pharmacist, cette évolution n’a rien d’une rupture : elle renforce le rôle du pharmacien et répond aux besoins du système de santé. Alors que la France débat encore de la prescription pharmaceutique, il plaide pour un changement de culture et une confiance retrouvée entre professions de santé.

Par Thomas Kassab, publié le 24 octobre 2025

Pharmaciens prescripteurs : le Royaume-Uni montre la voie

Dany Ros, pharmacien de pratique clinique avancée

Dany Ros, pharmacien de pratique clinique avancée

À partir de juillet 2026, les nouveaux diplômés seront-ils tous prescripteurs ?

Dany Ros : Oui. À partir de juillet 2026, tous les pharmaciens nouvellement diplômés au Royaume-Uni obtiendront automatiquement le statut de prescripteur indépendant à l’inscription au registre. C’est une étape décisive. Ceux qui ont été diplômés avant cette réforme et n’ont pas encore validé le diplôme complémentaire de prescription pourront le faire ensuite, selon un parcours de formation simplifié.

L’objectif du NHS est clair : mobiliser les pharmaciens pour combler le manque de médecins généralistes et fluidifier l’accès aux soins primaires. Des programmes pilotes comme Pathfinder permettent déjà à certains pharmaciens d’ouvrir des consultations de première intention : toux, infections respiratoires, asthme… Après un examen clinique, le pharmacien peut établir un diagnostic, prescrire un traitement et informer le médecin référent.

Est-ce une obligation pour les pharmaciens britanniques ?

Dany Ros : Non, c’est un choix. Mais, dans les cinq à dix prochaines années, une pharmacie ne pourra plus se limiter à la dispensation classique. L’avenir du métier passe par la diversification des services : bilans, accompagnement des maladies chroniques, actes cliniques de proximité… Ce n’est pas une contrainte, c’est une évolution naturelle, nécessaire pour maintenir la pertinence de notre rôle dans le système de santé.

Les craintes françaises sont-elles comparables à celles qu’a connues le Royaume-Uni ?

Dany Ros : Oui, tout à fait. Quand les pharmaciens britanniques ont commencé à vacciner, les infirmiers disaient : « C’est notre travail, pas le vôtre. » Ces craintes sont légitimes, mais elles reposent souvent sur une méconnaissance. Ce n’est pas une prise de territoire, mais une réorganisation du soin.

Le pharmacien ne remplace personne, il complète.

Notre rôle s’est élargi, mais notre identité n’a pas changé : nous restons avant tout des experts du médicament, désormais capables de l’intégrer pleinement dans la prise en charge clinique du patient.

Comment cette évolution a-t-elle été structurée au Royaume-Uni ?

Dany Ros : Tout est parti d’une volonté politique forte, portée par le gouvernement, le NHS England et l’Ordre des pharmaciens, avec le soutien des universités et des médecins.

Les débuts n’ont pas été simples : on entendait les mêmes arguments qu’en France aujourd’hui – “les pharmaciens ne sont pas formés”, “cela met en danger les patients”…

Quinze ans plus tard, les résultats sont probants : les patients sont mieux pris en charge, les médecins déchargés, et la qualité des soins s’est améliorée. Les formations ont été financées, les pratiques encadrées, et la confiance s’est installée. Aujourd’hui, la prescription pharmaceutique est intégrée et respectée.

Pourquoi la France tarde-t-elle à franchir le pas ?

Dany Ros : Ce n’est pas une question de compétence : les pharmaciens français ont le niveau scientifique et clinique nécessaire. Le blocage est culturel. En France, l’idée persiste que prescrire reviendrait à “faire le travail du médecin”. Mais dans les faits, cela permet surtout de faire gagner du temps médical et de mieux répondre à la demande de soins.

Les pharmaciens sont prêts, mais il faut une impulsion nationale.

Il faut aussi une cohérence : pourquoi une infirmière peut-elle prescrire, même de façon restreinte, et pas un pharmacien ? C’est une aberration logique, surtout pour le professionnel qui maîtrise le mieux les médicaments.

Quels bénéfices concrets observez-vous sur le terrain ?

Dany Ros : L’impact est immédiat. Les patients n’attendent plus plusieurs jours pour obtenir un rendez-vous. Ils peuvent consulter le pharmacien, qui écoute, évalue et agit dans le cadre de ses compétences.

Cela désengorge les cabinets médicaux et les urgences, tout en maintenant un lien constant avec le médecin traitant grâce à la transmission systématique des comptes rendus.

Cette organisation profite à tous : le patient est mieux pris en charge, le médecin se recentre sur les cas complexes, et le pharmacien s’affirme comme un acteur clinique de proximité.

Quel message souhaitez-vous adresser aux pharmaciens français ?

Dany Ros : De ne pas avoir peur. Il faut se former, prouver sa compétence et collaborer. Il y a suffisamment de patients pour que chacun garde sa place. L’évolution du métier ne doit pas être subie, mais anticipée. Les besoins de santé changent, les pathologies chroniques augmentent, la population vieillit : la pharmacie doit évoluer en même temps. Ce n’est pas perdre son identité, c’est la prolonger.

Et je le répète souvent : tout le monde peut apprendre à écouter un poumon en un mois, mais personne ne peut apprendre la pharmacie en un mois.

Notre force, c’est notre connaissance du médicament, et c’est sur cette base que nous devons construire la suite.

Pharmacy First et Pathfinder

Pharmacy First (Angleterre), lancé le 31 janvier 2024, autorise la prise en charge directe en pharmacie de sept affections courantes (otite, sinusite, angine, toux, cystite, impétigo, zona) avec prescription immédiate du traitement adapté selon protocole national. Pathfinder, programme du NHS England, pilote depuis 2024 210 modèles de prescription indépendante en officine(affections aiguës, maladies chroniques, optimisation thérapeutique) afin de définir le futur cadre national de la pratique clinique pharmaceutique.

À retenir

  • Dès 2026, tous les nouveaux pharmaciens britanniques seront prescripteurs indépendants à leur inscription au registre (GPhC).

  • Les formations cliniques sont financées par le NHS et intégrées dans les Primary Care Networks.

  • Le modèle britannique repose sur la confiance interprofessionnelle et la logique de parcours patient.

  • Pour Dany Ros, la France doit cesser de craindre le changement et voir la prescription comme une extension naturelle de son expertise.