Pharma Tour : quand des influenceuses “jouent à la pharmacienne” en officine
Blouses, badges, présence derrière le comptoir et propos revendiquant le fait de “jouer la pharmacienne” : les images diffusées lors de certaines opérations dites de “Pharma Tour” ont fait basculer une initiative marketing dans un tout autre registre. Annulations d’événements, signalements déposés auprès de l’Ordre et crispation durable dans la profession : retour sur une séquence qui marque un point de rupture.
D’une animation commerciale à une tournée interrompue
Présentées comme des actions de visibilité destinées à attirer de nouveaux publics en officine, les opérations de type « Pharma Tour » n’iront finalement pas à leur terme. Plusieurs pharmacies ont annulé, parfois à la dernière minute, des événements initialement programmés, notamment à Marseille et en région Auvergne-Rhône-Alpes. Ces annulations ont mis fin prématurément à une tournée pourtant largement relayée sur les réseaux sociaux.
Le basculement intervient après la diffusion de vidéos tournées en officine, rapidement reprises et commentées par de nombreux pharmaciens sur leurs réseaux professionnels.
Ce que montrent précisément les vidéos
Les images à l’origine de la controverse sont aujourd’hui bien identifiées.
Elles montrent une influenceuse :
- portant une blouse,
- arborrant un badge professionnel,
- positionnée derrière le comptoir de l’officine,
- et tenant des propos explicites face caméra, affirmant notamment « on fait les caissières, les pharmaciennes ».
Ces séquences, diffusées volontairement sur les réseaux sociaux, ont été perçues par une large partie de la profession comme une mise en scène du rôle officinal, bien au-delà d’une animation commerciale classique.
Une confusion des rôles au cœur du malaise
Jusqu’ici, le débat portait sur l’importation des codes de l’influence digitale en pharmacie. Avec ces images, la discussion change de nature.
La question n’est plus celle de l’attractivité ou de la modernisation de la communication, mais celle de la confusion entre un professionnel de santé et une personne extérieure à la profession.

La blouse, le badge et la position derrière le comptoir ne sont pas des éléments anodins. Ils incarnent une compétence, une responsabilité réglementée et une autorité sanitaire clairement identifiée par le public. Les utiliser dans une mise en scène promotionnelle, même sur le mode du “jeu”, brouille une frontière essentielle et fragilise la lisibilité du rôle du pharmacien.
Signalements auprès de l’Ordre : un changement de registre
À la suite de la diffusion de ces vidéos, des signalements ont été déposés auprès de l’Ordre national des pharmaciens, selon plusieurs sources concordantes.
L’institution a confirmé avoir été saisie et indiqué que ces signalements seraient examinés selon les procédures habituelles.
À ce stade, aucune décision disciplinaire n’a été rendue publique. Mais le simple fait que l’Ordre ait été saisi marque un changement de registre : le débat ne se limite plus aux réseaux sociaux ou aux discussions informelles entre confrères. Il entre désormais dans un cadre institutionnel.
La santé n’est pas un jeu de rôle
Cette affaire résonne dans un contexte plus large. Ces derniers mois, plusieurs dossiers très médiatisés ont rappelé les dérives possibles lorsque des influenceurs se présentent comme des professionnels de santé sans en avoir le titre ni la compétence. Des personnes se revendiquant « docteur » sur les réseaux sociaux ont ainsi été condamnées pour avoir pratiqué des injections esthétiques illégales, illustrant les conséquences pénales d’une confusion entretenue entre image, notoriété et expertise médicale.
La leçon est claire : on ne “joue” pas au dermatologue, on ne “joue” pas au médecin, et on ne joue pas davantage à la pharmacienne.
La santé ne relève ni du divertissement ni de la mise en scène. Les blouses, les comptoirs et les badges professionnels ne sont pas des accessoires de communication, mais les symboles visibles d’une responsabilité sanitaire réelle. Les détourner, même sous couvert d’événementiel, participe à banaliser des fonctions fondées sur la compétence, la réglementation et la confiance du public.
“Attirer les jeunes” : un argument qui atteint ses limites
Certains titulaires ayant accueilli l’événement expliquent avoir voulu toucher une population plus jeune, souvent éloignée de l’officine, et proposer une expérience différente autour de produits accessibles. L’argument de l’attractivité, dans un contexte économique contraint, est régulièrement avancé.
Mais pour de nombreux confrères, il ne résiste pas aux images diffusées. Attirer de nouveaux publics ne peut justifier une mise en scène qui fragilise l’identification du pharmacien comme professionnel de santé, au moment même où la profession revendique davantage de reconnaissance clinique et un rôle accru dans la prévention et le suivi des patients.
Signalement, plainte, procédure : remettre les mots à leur place
Les échanges sur les réseaux évoquent parfois des « plaintes ». En pratique, les démarches engagées relèvent à ce stade de signalements, c’est-à-dire d’alertes adressées à l’Ordre afin qu’il apprécie la conformité des faits au cadre déontologique.
Un signalement ne préjuge ni de l’ouverture automatique d’une procédure disciplinaire, ni d’une sanction. Il traduit en revanche un malaise suffisamment profond pour justifier une saisine institutionnelle.
Un signal fort pour l’ensemble du réseau officinal
L’épisode du « Pharma Tour » agit comme un signal fort pour la profession. Il rappelle que la modernisation de la communication officinale ne peut se faire au détriment des fondamentaux déontologiques.
L’officine n’est ni un concept-store, ni une scène événementielle neutre. Elle reste un lieu de soins, où la frontière entre commerce et santé ne peut être brouillée sans conséquence.
Le débat, désormais sorti de la sphère des réseaux sociaux, appelle sans doute des clarifications ordinales. Il invite surtout chaque titulaire à s’interroger : jusqu’où innover, et à quel moment dire stop.