« Nous voulons être le premier syndicat de France » - Entretien exclusif avec Laurent Filoche, cofondateur de l’UPGF

L’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) et l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) annoncent la création d’un nouveau syndicat mixte : l’Union des Pharmacies Groupées de France (UPGF). Cette structure inédite entend rénover le jeu syndical et défendre un modèle libéral recentré sur la valeur du médicament. Laurent Filoche, président de l’UDGPO et dirigeant du groupement Pharmacorp, en précise les fondements et la stratégie.

Par Thomas Kassab, publié le 29 octobre 2025

« Nous voulons être le premier syndicat de France » – Entretien exclusif avec Laurent Filoche, cofondateur de l’UPGF

Qu’est-ce qui a déclenché la création de ce nouveau syndicat ? Quelle est sa première mission ?

Laurent Filoche : C’est d’abord remettre en avant notre cœur de métier et notre mode d’exercice libéral. Nous traversons une période où le modèle économique de la pharmacie est sous tension. Les syndicats en place ont conduit la profession dans une impasse et, surtout, ils continuent d’y croire. Il fallait réagir.

Laurent Filoche, Président fondateur de Pharmacorp et Président de l’UDGPO

L’objectif de l’UPGF est d’incarner une voix alternative, tournée vers l’avenir, qui redonne de la cohérence et de la rentabilité à l’officine, sans renier son indépendance ni son rôle au sein du système de santé.

L’UPGF est présentée comme un syndicat mixte. Quelle sera la place respective des groupements et des titulaires ?

Laurent Filoche : Quand on participe à une compétition, c’est pour la gagner, pas pour faire de la figuration. Nous voulons être le premier syndicat de France.

Dépendre uniquement des finances publiques et de l’Assurance maladie, c’est aller vers une paupérisation, une fonctionnarisation et, à terme, la fin de notre exercice libéral.

Pendant des années, la profession s’est enfermée dans un modèle quasi exclusivement fondé sur les honoraires. Ce système, s’il avait du sens au départ, a fini par déconnecter la rémunération du pharmacien de la valeur du médicament. L’UPGF défend un retour à une économie libérale équilibrée, où le professionnel garde la maîtrise de son outil de travail et de sa marge.

Quelles solutions proposez-vous pour diversifier et sécuriser la rémunération de l’officine ?

Laurent Filoche : Il faut revenir à une rémunération mixte : acte pharmaceutique, honoraires et marge commerciale. Mais, il faut aussi élargir la réflexion à de nouveaux financeurs : mettre en place de nouveaux services avec de nouveaux partenaires – assureurs privés, mutuelles et patients eux-mêmes pour les actes de prévention.

Quand les pharmaciens travaillent pour zéro, en réalité ils travaillent à perte.

Il est urgent de remettre de la valeur là où elle se crée réellement. Sur le plan économique, le marché des biosimilaires représente une opportunité majeure pour l’officine, à condition d’en capter une partie de la valeur ajoutée. Enfin, sur les médicaments chers, nous ne pouvons plus accepter un modèle où toute la marge est absorbée par les industriels, laissant les officines travailler à perte. Il faut revoir en profondeur les mécanismes de prix et de redistribution.

Vous affirmez que la pharmacie est plus forte quand les groupements le sont. Cela justifie-t-il de leur donner un rôle syndical ?

Laurent Filoche : Les groupements ne sont pas des entités concurrentes du pharmacien : ils en sont les partenaires économiques naturels.

L’intérêt économique des groupements est indissociable de celui des officines.

Ils accompagnent les titulaires dans leurs achats, leurs négociations, leur formation, leur communication. Ils ont contribué à maintenir à flot des centaines d’officines ces dernières années. L’économie officinale étant devenue trop complexe, il est logique que les groupements participent à la réflexion stratégique sur l’avenir du réseau. Comme le disait Clemenceau : « La guerre est une chose trop grave pour la confier aux militaires. » De même, l’économie de la pharmacie est trop importante pour être laissée aux seuls syndicats historiques.

Les syndicats historiques n’offrent-ils plus d’espoir de réforme ?

L. F. : Les syndicalistes historiques nous ont mis dans la situation actuelle… nous sommes dans une impasse. Le constat est dur, mais lucide. Les deux syndicats représentatifs ont accompagné un modèle de dépendance croissante à l’État, avec des honoraires qui stagnent et des marges commerciales sous pression. Nous voulons rompre avec cette logique défensive et revenir à une dynamique entrepreneuriale. Le pharmacien doit redevenir un acteur économique libre, capable de faire vivre son officine et d’investir dans de nouveaux services, sans quémander.

Certains pharmaciens craignent qu’un troisième syndicat dilue les forces. N’est-ce pas un risque ?

L. F. : Non, au contraire. La pluralité peut être une force. Les médecins ont plusieurs syndicats et pourtant, ils savent se rassembler sur les sujets majeurs.

Le parti unique n’existe que dans des pays qui ne sont pas très démocratiques et qui n’ont pas de bons résultats économiques.

La diversité des voix n’empêche pas l’unité, elle l’enrichit. Ce que nous voulons éviter, c’est la résignation. L’UPGF ne cherche pas la division, mais le renouveau.

Allez-vous présider ce nouveau syndicat ?

L. F. : Je ne serai pas à la tête de ce syndicat. Je le porte avec l’UDGPO et l’UNPF, mais la présidence sera confiée à une autre personnalité, annoncée très prochainement. Je resterai engagé au sein du conseil d’administration, probablement comme conseiller spécial. Mon rôle premier demeure celui de président de l’UDGPO et de dirigeant de Pharmacorp. Le message est clair : ce syndicat est collectif. Il ne dépendra pas d’un homme, mais d’une vision.

Vous évoquez un rapprochement avec le monde mutualiste et les assureurs. Pourquoi ?

L. F. : Les mutuelles sont souvent mieux gérées que l’Assurance maladie et disposent de moyens que cette dernière n’a plus. Elles souhaitent se différencier et nouer de nouveaux partenariats avec les pharmaciens.

C’est une opportunité à saisir, notamment sur les terrains de la prévention et du suivi.

Les assureurs privés partagent la même logique : ils recherchent des dispositifs de santé concrets et de proximité. Le pharmacien, par sa position de premier recours, est l’interlocuteur idéal pour ces nouveaux acteurs.

Certains y verront une financiarisation accrue du secteur…

L. F. : Les groupements n’ont aucune participation dans les pharmacies. Le capital officinal est sanctuarisé par le Code de la santé publique. Il faut cesser d’agiter le spectre de la financiarisation. Les groupements ne possèdent pas les officines : ils leur rendent des services. Que des capitaux non pharmaciens soient présents dans certains groupements n’a rien d’inquiétant : c’est une question de moyens. Ces fonds permettent d’investir dans la logistique, la formation, la digitalisation ou la prévention.

Restreindre ce modèle ouvrirait la porte à des contentieux au niveau européen et risquerait de rouvrir le débat sur le capital des officines.

En voulant tordre la réglementation, certains prendraient le risque de fragiliser le cadre libéral français. L’UPGF défend une économie ouverte, mais encadrée.

Les syndicats en place vous ont-ils contacté ?

L. F. : Je pense qu’ils ont peur, et ils ont raison d’avoir peur. Depuis l’annonce, les réactions se multiplient. Certains communiqués cherchent à limiter notre représentativité avant même que nous ayons commencé. Pourtant, sur le terrain, la réception est excellente. Je sens une masse de pharmaciens impatients de nous rejoindre, des confrères qui veulent une autre manière d’être représentés.

Quelles seront vos priorités dans les semaines à venir ?

L. F. : Je serai auditionné le 12 novembre par l’Inspection générale des finances. Nous y défendrons un message clair :

il est anormal que, dans la chaîne de valeur du médicament, toute la valeur soit captée par les industriels.

Les pharmacies ne peuvent plus travailler à perte sur les médicaments chers. Nous porterons la nécessité de revoir les mécanismes de rémunération, de mieux répartir la valeur, et de redonner de l’oxygène économique au réseau officinal.

Si vous deviez résumer le combat de l’UPGF en une phrase ?

L. F. : Notre rémunération doit être assise sur notre cœur de métier : la dispensation du médicament. Nous sommes favorables aux nouvelles missions, à la vaccination, au dépistage, à la prévention, mais la base économique de notre métier reste le médicament. C’est ce socle qu’il faut protéger. Nous devons en vivre tous.