Médicaments génériques : enjeux et défis – interview exclusive avec Grégory Moses, directeur de l'unité pharmacie de Viatris France
Dans cette interview exclusive, Grégory Moses, directeur de l’unité pharmacie de Viatris France, revient sur les nombreux défis auxquels sont confrontés les médicaments génériques. Entre contraintes réglementaires, enjeux économiques et nécessité d’une communication renforcée, il dresse un état des lieux des obstacles à surmonter pour garantir l’accès à ces traitements essentiels.
Dans le cadre des 25 ans du droit de substitution et en continuité avec notre Grand Angle consacré aux médicaments génériques, nous avons eu le plaisir d’interviewer Grégory Moses, directeur de l’unité pharmacie de Viatris France. Ce moment d’échange exclusif revient sur les défis actuels et les perspectives d’avenir des médicaments génériques, indispensables à la stabilité de notre système de santé. Grégory Moses éclaire les multiples contraintes réglementaires, les enjeux économiques, et les actions nécessaires pour sécuriser l’approvisionnement. Une vision qui replace les pharmaciens au cœur de la confiance et de l’information pour surmonter les réticences et favoriser la substitution.
Quelles sont les principales contraintes réglementaires auxquelles sont soumis les médicaments génériques ?
Grégory Moses : Les médicaments génériques sont soumis aux mêmes exigences réglementaires que les médicaments princeps, notamment en matière de contrôle et de suivi. Pour permettre leur mise sur le marché, les médicaments génériques doivent démontrer leur bioéquivalence par rapport aux médicaments originaux, ce qui nécessite des études spécifiques qui peuvent être coûteuses et complexes. Les réglementations, qui évoluent régulièrement, imposent également aux fabricants de s’adapter en permanence, ce qui mobilise des ressources importantes pour rester en conformité.
La gestion des chaînes d’approvisionnement internationales ajoute une autre dimension à ces défis. Il faut coordonner l’approvisionnement des matières premières, garantir la conformité réglementaire lors de la fabrication, du transport et du stockage, et assurer une distribution efficace afin d’éviter les ruptures de stock. À titre d’exemple, chez Viatris Santé, notre pôle qualité et affaires règlementaires emploie près de 30 personnes pour s’assurer du respect de ces exigences.
Il est également important de souligner le rôle clé du pharmacien dans la substitution des médicaments. Depuis le droit de substitution accordé aux pharmaciens, le 12 juin 1999, cette pratique est devenue une composante essentielle de notre système de santé. Aujourd’hui, presque un milliard d’unités de médicaments génériques sont délivrées chaque année, avec un retour d’expérience considérable. Rien que chez Viatris Santé, nous avons plus de 450 molécules dans notre catalogue, dont de nombreux médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Les médicaments génériques sont véritablement au cœur de la prise en charge quotidienne des patients.
Malgré 25 ans d’expérience avec les médicaments génériques, certaines réticences subsistent chez certains patients. Quelles sont les raisons de ces réticences ?
Grégory Moses : Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation, bien que le nombre de patients réfractaires soit aujourd’hui en forte diminution. Ainsi l’’acceptation des médicaments génériques a considérablement progressé au cours des 25 dernières années. Les réticences qui subsistent peuvent être liées à la perception d’une efficacité différente ou à de potentiels effets indésirables. Certains patients peuvent ainsi attribuer ces variations au fait qu’ils prennent un médicament générique, alors que ces mêmes effets auraient pu survenir avec le médicament princeps.
Par ailleurs, nous pouvons constater chez certaines personnes un climat de défiance vis-à-vis des institutions en général, au sein desquelles les autorités de santé, et les experts. Dans ce contexte, certains remettent en question la qualité ou l’efficacité des médicaments génériques. Malgré cela, le pharmacien reste un acteur clé de confiance, particulièrement après la crise du Covid, où il a su maintenir une crédibilité et un accompagnement solide des patients. C’est pourquoi nous avons un rôle important à jouer pour rassurer et informer les patients, car en France, la confiance envers le pharmacien est très forte.
Il est également important de rappeler que les fabricants de médicaments génériques connaissent très bien l’ensemble de la chaîne de production du médicament. Par exemple, chez Viatris, nous disposons de 26 usines dans le monde, dont deux en France, et nous collaborons avec 36 sites partenaires en France pour assurer la production des médicaments génériques et autres. Ce savoir-faire industriel est essentiel pour garantir la qualité des médicaments génériques.
Comment peut-on améliorer la communication autour des médicaments génériques pour notamment améliorer ce taux de substitution ?
Grégory Moses : Il est toujours possible d’améliorer la communication sur les médicaments génériques, notamment pour accompagner la substitution. Pendant longtemps, il était considéré que le taux de substitution de 85 % représentait une sorte de « plafond de verre ». Les analyses montrent que ce n’est pas le cas. En réalité, si l’on exclut les 3 % de prescriptions marquées « non substituables », le plafond réel se situe plutôt à 97 % de substitution.
A l’occasion des 25 ans du droit de substitution qui a eu lieu en juin 2024, la société d’étude IQVIA a réalisé une étude exclusive et très complète pour Viatris sur la substitution. Cette étude met en lumière plusieurs enseignements importants. En premier lieu, l’analyse des mentions non-substituables montre que même dans des spécialités comme la neurologie, la mention « NS » ne dépasse pas le 6% alors que la substitution n’atteint que 51%.
Le frein ne vient donc pas toujours des médecins, mais parfois du patient lui-même ou même du pharmacien. Il est donc essentiel de renforcer la communication, non seulement pour informer les patients sur la sécurité et l’efficacité des génériques, mais aussi pour accompagner les pharmaciens et médecins dans ce processus.
Quel est le profil des pharmacies qui arrivent à substituer le plus ?
Grégory Moses : Nous avons observé deux éléments intéressants concernant les pharmacies qui atteignent le véritable « plafond de verre » de 97 % de taux de substitution. C’est un enjeu majeur en termes de valorisation : passer de 85 à 97 % de substitution permettrait d’économiser 500 millions d’euros pour l’Assurance Maladie. À l’échelle du réseau officinal, cela représenterait un chiffre d’affaires additionnel de 800 millions d’euros, soit environ 40 000 euros par an pour chaque pharmacie.
Chez Viatris, nous continuons d’ailleurs à fournir des outils et supports de communication pour soutenir les pharmacies dans cette pédagogie et répondre aux idées reçues.
Concernant le profil des pharmacies qui réussissent cela, il n’y a pas de localisation géographique spécifique ; ces pharmacies sont réparties sur tout le territoire. Il n’y a pas non plus de critère de taille ou de chiffre d’affaires. Elles partagent toutefois quatre caractéristiques communes :
- Un titulaire convaincu : Le pharmacien titulaire est un acteur clé qui substitue systématiquement, sans réticence, quelles que soient les classes médicamenteuses.
- Une équipe officinale engagée : L’ensemble de l’équipe est convaincu et agit de concert avec le titulaire pour promouvoir la substitution.
- Une relation de confiance avec le patient : Cela passe par une pédagogie et des explications claires sur la sécurité et l’efficacité des génériques, renforçant la confiance des patients.
- Un système de monitoring efficace : Ces pharmacies ont mis en place un système de suivi spécifique pour les médicaments génériques. Étant donné la grande diversité de références dans le répertoire de génériques et les fréquents nouveaux lancements, il est crucial d’optimiser le taux de substitution en monitorant ces éléments.
Comment faire pour réduire les pénuries actuelles de médicaments donc les médicaments génériques ?
Grégory Moses : lI y a plusieurs axes de réponse pour aborder la question des pénuries, qui sont un phénomène mondial et concernent tous types de médicaments, princeps comme génériques.
Les pénuries sont multifactorielles et combinent des causes structurelles et conjoncturelles.
Causes structurelles :
- Vieillissement de la population: La demande mondiale en médicaments augmente avec l’allongement de la durée de vie et une population vieillissante qui nécessite davantage de traitements.
- Capacité de fabrication: L’expansion des capacités de production prend du temps, en partie à cause des réglementations strictes qui, bien qu’elles soient essentielles pour garantir la sécurité des médicaments, limitent la flexibilité et l’agilité des chaînes de production.
- Concentration des chaînes de fabrication: La production de nombreux médicaments est concentrée dans un nombre limité de sites. Cette concentration rend les chaînes d’approvisionnement vulnérables à des perturbations.
Causes conjoncturelles :
- Délais d’approvisionnement allongés: Les chaînes d’approvisionnement sont ralenties par des facteurs comme la logistique mondiale, les retards de transport, et les tensions géopolitiques.
- Augmentation des coûts de fabrication: Les matières premières et l’énergie, entre autres, ont vu leurs coûts augmenter, ce qui impacte directement la production.
- Baisse des prix des médicaments génériques: Paradoxalement, alors que les coûts augmentent, les prix des médicaments génériques continuent de baisser, ce qui rend difficile la rentabilité de leur production et peut contribuer aux pénuries.
Pour réduire ces pénuries, il est crucial de travailler sur plusieurs fronts : améliorer la flexibilité des chaînes d’approvisionnement, diversifier les sites de production pour éviter une trop grande concentration géographique, et ajuster la régulation pour permettre plus d’agilité tout en garantissant la qualité et la sécurité. Une réflexion sur le juste prix des médicaments génériques, tenant compte des coûts de production actuels, serait également nécessaire.
Les prix des génériques en France sont anormalement bas par rapport à certains pays voisins. Cela contribue-t-il à accentuer les pénuries ?
Grégory Moses : Nous sommes effectivement sous contrainte économique, et les médicaments génériques jouent un rôle essentiel dans l’équilibre de notre système de santé. La substitution permet aux officines de développer leur chiffre d’affaires tout en générant des économies pour l’Assurance Maladie. Cependant, la question qui se pose aujourd’hui est celle du juste prix des médicaments par rapport à leur accessibilité et par rapport aux médicaments innovants. Il est certain qu’en ce qui concerne les génériques, nous ne pouvons plus continuer à proposer des prix aussi bas.
Prenons l’exemple de l’amoxicilline : un flacon coûte actuellement 76 centimes. Or, avec l’augmentation des coûts de fabrication, ce prix ne couvre même plus les coûts de production.
Il se pose donc un problème de viabilité. Si les prix ne permettent pas de compenser les coûts, cela accentue effectivement les risques de tensions d’approvisionnement. Nous demandons donc une révision des prix des médicaments génériques pour qu’ils reflètent mieux les réalités économiques actuelles. Il est également important de donner de la visibilité et de la stabilité sur le prix de médicaments génériques. En effet, créer une nouvelle chaine de fabrication requiert des années d’investissement.
Malgré cela, nous continuons à nous battre, car notre priorité reste de soigner les patients. C’est pourquoi, malgré les enjeux économiques, nous persévérons pour garantir le plus grand nombre de références génériques disponibles.
Pourquoi observe-t-on un tel écart de prix entre certains médicaments en Europe ?
Grégory Moses : Les autorités de santé dans chaque pays d’Europe n’adoptent pas les mêmes politiques de prix pour les médicaments. Chaque pays a sa propre approche en matière de régulation des prix, ce qui crée des disparités significatives d’un marché à l’autre. Cette différence de traitement a des conséquences, notamment en ce qui concerne les tensions d’approvisionnement, qui doivent être abordées à une échelle plus large.
La réponse à ces défis ne peut être purement nationale, elle doit être pensée à l’échelle européenne et mondiale. C’est pourquoi l’initiative Critical Medicines Alliance a vu le jour au niveau européen. Cette alliance, qui réunit les industriels du secteur, a pour objectif de trouver des solutions communes pour sécuriser l’approvisionnement des médicaments à travers l’Europe. Travailler ensemble à cette échelle est essentiel pour garantir un accès stable et équitable aux médicaments, tout en atténuant les écarts de prix et en prévenant les pénuries.
Vous sentez-vous écouté par les pouvoirs publics concernant les difficultés économiques et les pénuries ?
Grégory Moses : L’écoute est réelle, et les pouvoirs publics ont bien compris que les médicaments génériques sont menacés. Certains acteurs du secteur ont déjà dû arrêter des références et réduire leur catalogue de génériques. C’est pourquoi nous insistons sur la nécessité d’un juste prix pour garantir la pérennité des génériques. Il en va de l’avenir de l’offre de génériques en France qui, rappelons-le, contribuent chaque année à 2,5Mds€ d’économies pour notre système de santé.
Quel est le problème de la clause de sauvegarde pour les médicaments génériques ?
La clause de sauvegarde est un véritable paradoxe pour les médicaments génériques. Chaque année, l’ONDAM fixe un objectif de croissance pour le marché des médicaments. Si cet objectif est dépassé, une taxe est appliquée à l’industrie pharmaceutique. Jusqu’en 2019, les médicaments génériques étaient exclus de cette taxe, ce qui est normal car ils permettent de réaliser des économies importantes pour l’Assurance Maladie. Désormais, les génériqueurs doivent payer cette taxe qui met en péril leur équilibre économique. Cette taxe est une double sanction. D’une part, cette taxe dépend de la performance du marché global du marché du médicament (et non de celle des médicaments génériques). L’arrivée de traitements onéreux a fortement accéléré la croissance du marché du médicament. Leur poids dans le chiffre d’affaires des officines a doublé en 10 ans. Le montant de la clause de sauvegarde ou taxe M s’est donc accru radicalement passant de quelques millions d’euros à 700 M€ au titre de 2021 puis à 1 200 M€ l’année suivante et pourrait atteindre 1 700 millions au titre de l’année 2023.
Infliger la taxe M ou clause de sauvegarde à l’industrie du générique est donc une absurdité. C’est comme si vous appliquiez la taxe carbone aux vélos électriques !
D’autre part, le montant de cette taxe est impossible à prévoir puisqu’il dépend de la performance de l’ensemble du marché du médicament. Nous attendons d’ailleurs le montant réel au titre de l’année 2023.