Médicaments génériques, 25 ans de substitution - Interview de Philippe Ranty, Président d'EG Labo

En 25 ans, le droit de substitution a permis aux pharmaciens de jouer un rôle clé dans la maîtrise des dépenses de santé. Pourtant, ce pilier de la politique de santé publique est aujourd'hui fragilisé par des ruptures de stocks, des contraintes économiques croissantes et des mesures réglementaires controversées. Philippe Ranty, président d'EG Labo, revient sur ces enjeux majeurs.

Par Thomas Kassab, publié le 24 janvier 2025

Médicaments génériques, 25 ans de substitution – Interview de Philippe Ranty, Président d’EG Labo
Philippe Ranty, président d'EG Labo

Philippe Ranty, président d’EG Labo

Quelles mesures incitatives permettraient de dynamiser le développement des génériques en France et en Europe ?

Philippe Ranty : Aujourd’hui, le marché des médicaments génériques représente environ 2 milliards d’euros d’économies par an pour l’Assurance Maladie, grâce à des prix qui sont en moyenne 60 % inférieurs à ceux des médicaments princeps. Cependant, des contraintes économiques, comme la clause de sauvegarde, viennent freiner ce processus. À savoir que cette clause était initialement conçue pour que l’industrie pharmaceutique princeps rembourse à l’Assurance Maladie l’excédent de dépenses générées par la prescription médicale au regard de l’objectif annuel fixé. En réalité, cette taxe pénalise également les laboratoires de médicaments génériques, qui sont par essence porteurs d’économie pour les comptes publics. En pratique, plus nous vendons de génériques, plus nous sommes taxés – une logique qui revient à demander à ceux qui génèrent des économies de financer le déficit induit par les autres. Par ailleurs, l’élargissement du répertoire des génériques pourrait être une solution concrète pour soutenir le marché. Cela permettrait non seulement d’augmenter l’offre mais aussi de compenser les retraits progressifs de certains produits jugés non rentables par les industriels. Les contraintes actuelles ont déjà conduit à des arrêts de production, un problème qui risque de s’aggraver si rien n’est fait.

Quelles sont les économies générées par les génériques pour les systèmes de santé ?

P. Ranty : Les économies générées sont liées à notre système de tarification très strict : en France, les prix des génériques sont parmi les plus bas d’Europe, et c’est en moyenne 60 % de moins. Par exemple, pour les molécules phares du répertoire, chaque substitution contribue significativement à réduire les dépenses publiques. Cependant, ces prix très bas ont des conséquences sur la rentabilité. Aujourd’hui, les marges des fabricants de génériques sont si comprimées qu’elles mettent en danger la pérennité de certains produits. Les baisses de prix programmées chaque année, ajoutées à l’inflation et à la hausse des coûts des matières premières – qui peuvent atteindre 20 % – rendent l’équilibre économique difficilement tenable.

Face aux politiques de prix, comment préservez-vous vos marges tout en maintenant vos standards de qualité?

P. Ranty :La qualité de nos médicaments génériques reste une priorité absolue. En France, les génériques sont soumis à des contrôles très rigoureux par l’ANSM. Ces médicaments doivent prouver leur bioéquivalence avec les princeps, avec la même composition quantitative et qualitative, et répondre à des standards de fabrication extrêmement stricts. Malgré les pressions sur les prix, aucun laboratoire ne fait de compromis sur la qualité. Cela est d’autant plus important que la confiance des patients envers les génériques, bien que majoritaire, reste toujours perfectible. Actuellement, 85 % des prescriptions dans le répertoire des génériques sont substituées, un chiffre significatif, mais qui pourrait encore être amélioré grâce à une meilleure pédagogie et à des incitations renforcées pour les prescripteurs.

Quelles sont les causes principales des pénuries de médicaments, et comment EG Labo y répond-il ?

P. Ranty : Les pénuries de médicaments ont des origines multiples, à la fois conjoncturelles et structurelles.

Conjoncturelles : la pandémie de Covid-19 a profondément perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales, entraînant des pénuries de matières premières et de matériaux de conditionnement, tels que le carton ou l’aluminium. La guerre en Ukraine a exacerbé ces tensions logistiques. Aujourd’hui, relancer la production à pleine capacité demande du temps, notamment pour recruter et former des équipes qualifiées.

Structurelles : la désindustrialisation progressive de la France a fortement réduit la production nationale de principes actifs et d’excipients, rendant le pays dépendant des importations. De plus, les politiques de prix bas incitent les industriels à privilégier d’autres marchés européens où les marges sont plus favorables. Les pénalités imposées en cas de rupture par l’ANSM sont aussi un frein, car elles ne résolvent pas les problèmes de production et peuvent dissuader les fabricants de rester sur le marché.

Chez EG Labo, nous maintenons l’un des meilleurs taux de service de 96 %, grâce à une stratégie proactive et une production majoritairement européenne. Mais pour éviter des ruptures plus fréquentes, il est essentiel d’adopter une approche plus réaliste en matière de régulation et de soutenir davantage la relocalisation industrielle.

Les politiques de prix bas contribuent-elles aux ruptures actuelles de certains médicaments ?

P. Ranty : Aujourd’hui le prix des génériques en France est en moyenne le moins cher d’Europe. Les prix bas incitent donc les industriels à privilégier des marchés étrangers où les marges sont meilleures. Par exemple, pour certains médicaments génériques, la France est souvent la dernière priorité en termes d’approvisionnement. Fournir la France, d’une manière générale n’est pas assez attractif pour les fabricants. Ce déséquilibre pousse d’ailleurs de nombreux acteurs à quitter le marché français, réduisant ainsi la diversité des fournisseurs. Or, aujourd’hui, un médicament sur 2 est un générique et traite 80 % des pathologies en France, ceci augmente donc le risque de ruptures.

Malgré 25 ans de substitution en France, il reste des réticences vis-à-vis des génériques. Pourquoi ?

P. Ranty : Avec un taux de substitution de 85 %, les génériques ont fait leurs preuves en France. Cependant, il subsiste des réticences, souvent alimentées par des idées reçues ou un manque d’information. Certains patients et prescripteurs évoquent des doutes liés à la bioéquivalence, notamment pour les médicaments à marge thérapeutique étroite. Pour renforcer la confiance, il est fondamental de continuer à sensibiliser les patients et les professionnels de santé. Nous plaidons également pour un élargissement du répertoire des génériques et pour des campagnes d’information plus ambitieuses, en partenariat avec les autorités de santé.

Quelles actions menez-vous pour réduire votre empreinte carbone ?

P. Ranty : EG Labo s’inscrit dans une démarche ambitieuse de RSE, en cohérence avec les engagements du groupe STADA. Nous concentrons nos efforts sur la production en Europe, afin de réduire l’empreinte carbone liée au transport, tout en garantissant des normes de fabrication parmi les plus strictes. Nous avons également mis en place des initiatives pour optimiser nos emballages, limiter les déchets et renforcer l’utilisation de matières premières durables. Par exemple, certaines de nos gammes bénéficient de certifications environnementales pour répondre aux attentes croissantes des consommateurs et des autorités. Nous pensons que l’avenir de notre secteur passe par une convergence entre excellence industrielle et durabilité. Cela inclut le développement de technologies de production plus respectueuses de l’environnement, ainsi que l’intégration de pratiques circulaires à toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement. Cependant, il est crucial d’accompagner ces efforts par des politiques réalistes qui n’entravent pas la viabilité économique des médicaments génériques.

Le récent projet de baisse des remises sur les génériques est perçu comme une mesure risquant de fragiliser davantage la viabilité économique des officines. Quel est votre avis sur cette décision ?

P. Ranty : Je suis clairement opposé à cette mesure. Le marché des génériques nécessite aujourd’hui un soutien accru, notamment pour les pharmaciens d’officine qui, après une période favorable liée à la Covid, traversent désormais une phase plus complexe marquée par des fermetures et des difficultés de trésorerie. Nous évoluons dans un contexte économique tendu, et il serait inopportun de fragiliser davantage ce secteur en réduisant les remises. Actuellement, le système en place est relativement équilibré, permettant aux industriels et aux officinaux de travailler dans des conditions positives et favorables. Modifier cet équilibre risquerait de créer des tensions inutiles et de perturber un modèle qui fonctionne bien pour le plus grand bénéfice des comptes de l’Assurance maladie. La baisse des remises ne me semble ni une bonne idée ni une solution adaptée à la situation actuelle. Au contraire, il est essentiel de continuer à accompagner les pharmaciens pour préserver un environnement économique viable et propice au développement des génériques.

La nomination de Robert F. Kennedy Jr. au poste de ministre de la Santé aux États-Unis pourrait-elle influencer les politiques de santé mondiales et accentuer les risques de pénuries en France ?

P. Ranty : La nomination de Robert F. Kennedy Jr. au poste de Ministre de la santé a surpris beaucoup de monde, notamment en raison de son parcours éloigné des problématiques sanitaires traditionnelles. Les États-Unis ont indéniablement un impact majeur sur les politiques de santé mondiales, même si cela nous concerne dans une moindre mesure. Notre laboratoire, avec plus de 90 % de sa production basée en Europe, est moins exposé directement à ces fluctuations. Cela dit, tout dépendra des orientations politiques adoptées par les États-Unis. Si leur politique de santé entraîne une augmentation de la demande en principes actifs, cela pourrait absorber une part significative des capacités de production mondiales. Cela poserait un risque pour les industriels français, surtout si ces mêmes unités de production desservent à la fois les marchés américain et européen. Dans ce cas, la France pourrait se trouver pénalisée, notamment à cause de ses prix historiquement bas qui rendent le marché moins attractif pour les fabricants. Pour l’instant, cela relève encore de la spéculation, mais il est évident que nous évoluons dans un système interconnecté où de telles décisions peuvent avoir des répercussions à l’échelle mondiale.

Quelles grandes tendances pour les génériques dans les années à venir ?

P. Ranty : Nous attendons bien sûr encore une croissance du marché des médicaments génériques, mais il est crucial d’investir dans des segments prometteurs comme les hybrides et les biosimilaires. Ces deux catégories répondent à des besoins spécifiques et offrent des perspectives intéressantes, notamment en termes d’innovation et de substitution.

En France, 2025 pourrait être une année charnière avec la généralisation du droit de substitution pour les biosimilaires. Cependant, pour exploiter pleinement ce potentiel, nous devons lever les barrières réglementaires actuelles et accélérer la mise en œuvre des mesures favorisant leur adoption. Nous sommes confiants dans notre capacité à contribuer à ces évolutions