Médicaments chers : Laurent Filoche sonne l’alerte et appelle à suspendre leur délivrance en officine - interview exclusive

Dans un post publié ce matin sur le réseau LinkedIn, Laurent Filoche, président de l’UDGPO, appelle les pharmaciens à ne plus délivrer en officine les médicaments dont le prix dépasse 1930 €, à l’exception des génériques et des biosimilaires. Il dénonce un système qui, selon lui, met en péril la survie des pharmacies en gonflant artificiellement leur chiffre d’affaires sans leur laisser de marge. En exclusivité, il nous explique les raisons de ce coup d’éclat et détaille l’impact de la baisse du plafond des remises génériques de 40 % à 20 %, qui a, selon lui, servi de déclencheur à cette prise de position radicale.

Par Thomas Kassab, publié le 05 juillet 2025

Médicaments chers : Laurent Filoche sonne l’alerte et appelle à suspendre leur délivrance en officine – interview exclusive

La tension monte d’un cran dans la profession officinale. En pleine période de concertation sur la rémunération des pharmaciens et alors que le gouvernement a acté la baisse du plafond des remises sur les génériques de 40 % à 20 %, Laurent Filoche, président de l’UDGPO, a publié ce matin un message fort sur LinkedIn : il appelle les pharmaciens à ne plus délivrer en ville les médicaments dont le prix dépasse 1930 €, hormis les génériques et biosimilaires.

Selon Laurent Filoche, ces traitements très onéreux, soumis à une marge dégressive, fragilisent la trésorerie des officines en gonflant artificiellement leur chiffre d’affaires sans leur apporter de ressources réelles. Il dénonce également une forme de « trahison » après vingt ans d’efforts pour promouvoir les génériques, aujourd’hui menacés par la baisse des remises. Dans un entretien exclusif, Laurent Filoche revient sur les raisons de cet appel à la fronde, les risques pour le maillage officinal et les pistes de mobilisation à la rentrée.

Laurent Filoche, Président fondateur de Pharmacorp, et Président de l’UDGPO. © Pharmacorp

Pourquoi appelez-vous à suspendre la délivrance en officine des médicaments dépassant 1930 € ?

Laurent Filoche : Nous ne pouvons plus continuer à distribuer ces médicaments très chers dont la marge est quasiment nulle au-delà de 1930 €. Concrètement, nous travaillons gratuitement pour le compte des laboratoires qui, eux, continuent à croître et à générer des bénéfices. Cela met en péril la trésorerie des pharmacies d’officine et, à terme, la viabilité même de notre réseau.

Comment avez-vous fixé ce seuil précis de 1930 € ?

L Filoche : C’est un seuil à partir duquel, selon le mode de calcul de la marge réglementée, la rémunération du pharmacien devient quasi nulle.

Ce n’est pas soutenable.

Cela veut dire que la pharmacie avance de la trésorerie considérable pour délivrer ces traitements, sans aucun retour économique.

Vous pointez le risque d’un « chiffre d’affaires artificiel ». Que voulez-vous dire ?

L Filoche : En réalité, ces médicaments chers représentent environ 30 % du chiffre d’affaires d’une pharmacie, mais sans générer de marge. Cela donne une illusion de chiffre d’affaires élevé, alors que dans les faits, la rentabilité est en chute libre. C’est dangereux car cela masque la précarité réelle de nombreuses officines et fausse la perception des pouvoirs publics sur notre situation.

Cette annonce intervient alors que la baisse du plafond des remises sur les génériques, de 40 % à 20 %, a été décidée. Quel lien faites-vous ?

L Filoche : Il est direct. Cette baisse des remises sur les génériques est pilotée par les industriels, notamment le LEEM, pour financer l’innovation pharmaceutique en prenant sur la rémunération du générique. Cette double peine — médicaments chers non rentables et baisse de la remise sur les génériques — fait peser une menace mortelle sur notre équilibre économique.

Certains syndicats parlent d’une « trahison » envers les pharmaciens. Partagez-vous ce terme ?

L Filoche : Oui, c’est une trahison. Depuis plus de vingt ans, les pharmaciens ont sensibilisé les patients aux génériques, avec la promesse d’une rémunération adaptée.

C’est un retournement inacceptable !

Aujourd’hui, on nous retire cette marge, après avoir généré 80 milliards d’euros d’économies pour la Sécurité sociale !

Vous mentionnez aussi des stratégies de contournement des laboratoires. Pouvez-vous préciser ?

L Filoche : Les laboratoires changent les dosages, modifient les dispositifs, ou obtiennent le statut de médicament orphelin pour bloquer la substitution. Ce sont des techniques parfaitement rodées, qui empêchent de réaliser les économies attendues avec les biosimilaires, par exemple, alors que ces produits pourraient générer plus d’un milliard d’euros d’économies cette année.

Quelles conséquences concrètes anticipez-vous sur l’accès aux médicaments ?

L Filoche : Si les industriels des génériques estiment que le marché français n’est plus rentable, ils s’en iront. Cela veut dire que des médicaments essentiels, comme certains antibiotiques pédiatriques, pourraient disparaître, faute de rentabilité. On parle de flacons vendus 0,76 € !

C’est une bombe sanitaire en puissance.

Ce scénario fait-il aussi peser une menace sur le maillage officinal ?

L Filoche : Avec ces marges laminées, les pharmacies ne pourront plus financer les équipes ni assurer leurs missions de santé publique, comme la vaccination ou la prévention. Même celles qui seraient « perfusées » par des subventions ponctuelles deviendront invendables et finiront par fermer. Après les déserts médicaux, on risque de créer des déserts pharmaceutiques.

Selon vous, un retour en arrière sur la baisse de la remise générique est-il possible ?

L Filoche : Nous l’espérons. Cette décision a été prise sans réelle discussion. Même un passage de 40 % à 30 % serait catastrophique, car chaque point de remise en moins représente 26 millions d’euros de pertes pour le réseau. Il faut absolument ouvrir des négociations sérieuses.

Quelles actions concrètes prévoyez-vous à la rentrée ?

L Filoche : Si aucune écoute n’est trouvée, nous irons vers une mobilisation forte dès septembre, y compris une grève illimitée s’il le faut.

Nous ne lâcherons rien.

Nous voulons protéger la survie des officines, mais surtout garantir aux Français un accès équitable à leurs traitements.

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