Les baisses de prix des médicaments menacent-elles la survie des officines ?
Entre baisses de prix imposées et marges en chute libre, les pharmacies font face à une pression inédite. Quelles solutions pour assurer leur pérennité en 2024 ?
Les baisses de prix des médicaments remboursables : un défi de taille pour les officines en 2024
Les baisses de prix des médicaments remboursables, imposées par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2024, dépassent déjà les objectifs fixés, générant une pression inédite sur l’activité des officines. Alors que le segment des médicaments remboursables représente environ 80 % du chiffre d’affaires des pharmacies, cette diminution des prix affecte directement les marges et la rentabilité de nombreuses structures. GERS Data, spécialiste de la collecte et de l’analyse des données de santé, révèle que cet impact devrait s’intensifier avec un effet de report de l’ordre de 224 millions d’euros en 2025. Pour les pharmaciens, le bout du tunnel semble encore loin.
Analyse des chiffres : un ralentissement marqué du chiffre d’affaires en 2024
Les données de GERS Data, diffusées début novembre, montrent une stagnation du chiffre d’affaires en pharmacie de ville pour le mois d’octobre, atteignant 1,8 milliard d’euros. Bien qu’une croissance de 4 % ait été observée dans les segments de conseil, elle est en grande partie attribuée à une hausse des prix et à un jour ouvré supplémentaire en octobre. Après ajustement, la situation reste préoccupante : le trafic en officine a progressé de seulement 2 % par rapport au début de l’année, une hausse largement insuffisante pour compenser les baisses de prix. Au-delà des chiffres, cette situation met en évidence la fragilité du modèle économique actuel, en particulier pour les pharmacies des petites villes et des zones rurales, déjà confrontées à une érosion de leur fréquentation.
Les médicaments onéreux et le ralentissement de la croissance
La tendance est d’autant plus marquée pour les médicaments onéreux. Par exemple, les médicaments dont le prix dépasse 1930 euros, qui représentaient une source de chiffre d’affaires substantielle, montrent une croissance de seulement 2 % entre janvier et septembre 2024. Les produits de moyenne gamme (prix supérieur à 468,97 euros) progressent davantage, avec une augmentation de 12 %, mais représentent seulement 0,4 % des volumes totaux. En dépit de leur poids significatif dans le chiffre d’affaires des officines, ces catégories ne suffisent pas à inverser la tendance générale. GERS Data observe également que les produits de contraste, fortement impactés par des baisses de prix supérieures à 70 %, ont subi une perte de chiffre d’affaires de l’ordre de 138 millions d’euros, accentuant le déséquilibre du marché.
Un effet de report attendu en 2025 : une menace pour l’économie officinale
Au-delà des baisses de prix actuelles, GERS Data prévoit un effet de report de l’ordre de 224 millions d’euros en 2025, avec des répercussions directes sur la pérennité des officines. L’économie officinale pourrait ainsi faire face à une nouvelle année sous pression, avec des marges de plus en plus serrées. La perspective d’une perte de 853 millions d’euros, répartis sur 2024 et 2025, rend les projections particulièrement alarmantes. Cette situation soulève des interrogations sur la viabilité du modèle de remboursement actuel, ainsi que sur la capacité des officines à absorber de nouvelles baisses de prix sans restructurations profondes.
Vers une reconfiguration du modèle économique des officines
Face à cette situation, les pharmacies n’ont d’autre choix que d’adapter leur modèle économique. Certains acteurs envisagent de diversifier leurs sources de revenus en misant sur des services à valeur ajoutée, comme les entretiens pharmaceutiques, les bilans de médication ou les TROD (Tests Rapides d’Orientation Diagnostique) pour des pathologies courantes. Cependant, ces activités, bien qu’indispensables pour compenser partiellement la perte de chiffre d’affaires, demandent des investissements en formation et en personnel, difficilement supportables pour certaines structures. D’autres se tournent vers des partenariats avec des laboratoires pour optimiser leur offre de produits non remboursables, mais cela implique un changement de positionnement qui peut être perçu comme un éloignement de la vocation médicale de la pharmacie.
Perspectives et enjeux pour 2025 et au-delà
À l’heure où le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 est examiné par les députés, les perspectives pour les officines restent incertaines. Les syndicats de pharmaciens plaident pour une revalorisation de l’acte de dispensation et pour une meilleure prise en compte des missions de santé publique assurées par les officines. Alors que la population vieillit et que les besoins en soins de proximité augmentent, l’avenir de l’économie officinale dépendra en grande partie de la capacité des autorités à réévaluer les mécanismes de financement. En parallèle, des réflexions sont menées sur l’introduction de nouveaux modèles de rémunération basés sur la performance et la qualité des services rendus aux patients, un virage potentiellement salvateur pour les officines.
Vers une transformation nécessaire de la pharmacie de ville ?
L’année 2024 marque une étape décisive pour le secteur officinal, pris en étau entre des baisses de prix et des exigences de rentabilité. Si le contexte actuel pousse à la prudence, il pourrait également être le moteur d’une transformation profonde du modèle officinal. Les pharmaciens, en tant que professionnels de santé de proximité, doivent aujourd’hui repenser leur activité et envisager de nouvelles formes de coopération avec les acteurs de la santé pour assurer la pérennité de leur métier. Dans un contexte de contraintes budgétaires croissantes, la pharmacie de ville devra peut-être se réinventer pour rester un pilier essentiel du système de santé français.