Laurent Filoche : “Le tout honoraire serait suicidaire pour la pharmacie” - Interview exclusive

À la suite du congrès de la FSPF et dans un contexte de tensions autour du plafonnement des remises génériques, le président de l’UDGPO, Laurent Filoche, hausse le ton. Opposé au modèle “tout honoraires” évoqué par Philippe Besset, il dénonce une “fonctionnarisation” de la profession et annonce un ultimatum aux syndicats majoritaires. Interview exclusive Pharma365.

Par Thomas Kassab, publié le 15 octobre 2025

Laurent Filoche : “Le tout honoraire serait suicidaire pour la pharmacie” – Interview exclusive

Pourquoi cet ultimatum quelques jours après le congrès de la FSPF ?

Laurent Filoche

Laurent Filoche

Laurent Filoche : Deux éléments nous y ont conduits. D’abord, l’idée évoquée par certains responsables syndicaux de basculer vers un modèle fondé exclusivement sur les honoraires. C’est une orientation que nous ne pouvons pas approuver.
Ensuite, la crise liée au plafonnement des remises génériques a mis en lumière un vrai problème : on nous sollicite, nous les groupements, quand il faut agir ou mobiliser, mais nous ne sommes jamais conviés à la table des négociations. Nous n’avons donc aucun moyen de faire entendre notre point de vue.
C’est pour ces raisons que nous avons posé deux conditions : l’abandon du tout honoraire et une participation pleine et entière aux discussions sur la refonte du modèle économique officinal.

Que reprochez-vous au modèle “tout honoraire” ?

L. F. : Regardez l’état des finances publiques et de l’Assurance maladie : il faudra des années pour redresser la Cnam — si tant est que ce soit possible — ou alors elle finira en banqueroute.

Le tout honoraire est complètement suicidaire.

Baser l’intégralité de la rémunération des pharmaciens sur un financeur en aussi mauvaise santé économique, c’est condamner la profession à moyen terme. Il ne faut pas mettre tous nos œufs dans le même panier, surtout quand ce panier coule.
On l’a vu avec les kinés ou les spécialistes : on leur a promis des revalorisations qui ne sont jamais arrivées. Nous refusons de subir le même sort.

Mettre tous nos œufs dans le même panier, surtout quand ce panier coule, c’est condamner la profession.

Vous parlez de “fonctionnarisation” de la profession ?

Le tout honoraire, c’est la fin de l’exercice libéral de la pharmacie.

L. F. : Cela reviendrait à placer toute la profession sous la tutelle de l’Assurance Maladie, dans un système administré, sans marge de liberté économique.
Marguerite Cazeneuve l’a rappelé lors de la Journée de l’économie de l’officine : les finances de la CNAM sont extrêmement contraintes, et il n’y aura pas d’enveloppe supplémentaire. S’appuyer exclusivement sur un financeur qui n’a plus les moyens de ses ambitions serait une erreur stratégique majeure.
Ce que nous défendons, c’est la liberté et la responsabilité d’entreprendre, pas une fonctionnarisation déguisée.

Où en est aujourd’hui le projet de syndicat mixte ?

L. F. : Nous avançons. Ce syndicat mixte réunira l’UDGPO, l’UNPF et potentiellement Federgy. Les organisations de groupements pourront y adhérer et participer à la gouvernance, nous prévoyons près de 5000 membres.
L’objectif est simple : fédérer rapidement plusieurs milliers d’adhérents et obtenir la représentativité auprès du ministre de la Santé. Nous voulons une voix forte, capable de défendre un modèle économique réaliste et durable, qui tienne compte des spécificités du terrain.

N’est-ce pas un risque “d’éparpillement syndical” ?

L. F. : Nous ne cherchons pas la division, mais la reconnaissance. Si la FSPF et l’USPO acceptent de nous intégrer réellement aux négociations, il n’y a aucune raison d’aller plus loin.
Mais nous avons deux lignes rouges :

  • l’abandon du tout honoraire
  • et notre place à la table des discussions. Ces messages ont été transmis à plusieurs reprises lors d’intersyndicales, sans réponse concrète.

Nous laissons donc jusqu’à lundi prochain, minuit. Si rien ne bouge, nous irons jusqu’au bout. Nous ne menaçons pas, nous agissons.

Pourquoi une échéance aussi courte ?

L. F. : Parce que le calendrier n’est pas de nous ! Le vrai compte à rebours, c’est celui de la transformation du modèle économique de l’officine, fixée avant le 31 décembre 2025.
On nous reproche d’aller vite, mais c’est le gouvernement qui impose une refonte du modèle en trois mois. Ce délai-là, c’est encore plus court et beaucoup plus risqué pour l’avenir de nos entreprises.

Quel modèle économique défendez-vous ?

L. F. : Nous défendons un équilibre. Aujourd’hui, plus de la moitié de notre rémunération sur le médicament remboursé provient déjà des honoraires. Aller plus loin reviendrait à tuer le modèle libéral.
Nous devons au contraire diversifier nos sources de financement : travailler avec les industriels, les assureurs ou d’autres partenaires capables de valoriser des services.
Notre cœur de métier reste la dispensation du médicament. Les missions, oui, mais à condition qu’elles soient périphériques et rémunérées. Elles ne doivent pas constituer la majorité de notre revenu.

Si on ne peut plus vivre sur le médicament, on n’existe plus.

C’est notre ADN. Nous sommes des professionnels de santé, mais également des chefs d’entreprise. Avoir une marge commerciale, ce n’est pas un gros mot : c’est le socle de notre indépendance.

Quel message adressez-vous à vos confrères ?

L. F. : Cette démarche répond à une vraie attente du terrain. Beaucoup de pharmaciens se sentent dépossédés de leur cœur de métier. Ils voient la dispensation reléguée au second plan, alors que c’est notre raison d’être. Je ne suis évidemment pas contre les nouvelles missions, bien au contraire, mais elles doivent rester complémentaires.
Notre modèle économique doit rester centré sur le médicament et le conseil pharmaceutique. Si nous perdons cela, nous perdrons notre identité professionnelle.

Avez-vous reçu des réactions de syndicats ?

L. F. : Pas de manière officielle. Il y a eu quelques réactions sur les réseaux sociaux, parfois épidermiques, mais rien de concret à ce stade.

Seriez-vous prêt à renoncer à la création du syndicat si vous étiez entendus ?

L. F. : Bien sûr ! Si les syndicats majoritaires acceptent enfin de nous associer pleinement aux discussions, il n’y a aucune raison de créer une nouvelle structure.
En revanche, si rien ne change, nous irons au bout ! Nous sommes souvent appelés pour pallier les carences des syndicats ou de l’Ordre. Alors autant jouer ce rôle officiellement !