« Il faut siffler la fin de la récré ! » - Interview exclusive de Laurent Filoche, après sa lettre ouverte adressée à la FCA

Ces dernières semaines, plusieurs prises de position publiques ont ravivé les tensions autour des modèles économiques en officine. À la suite de déclarations du Collège pharmacie de la FCA qualifiant certains groupements de « gangrène » et défendant un amendement destiné à créer un avantage fiscal pour les coopératives - amendement finalement retoqué par le Sénat - l’UDGPO a publié une lettre ouverte dénonçant des « propos excessifs » et alertant sur un risque d’amalgames entre pharmaciens selon leur mode d’organisation. Dans un climat déjà marqué par les remises génériques, la pression économique et la fragilisation du réseau, Laurent Filoche détaille pour Pharma365 les raisons de cette réaction, sa vision de la pluralité des modèles et les dérives qu’il juge inquiétantes pour l’unité de la profession.

Par Thomas Kassab, publié le 21 novembre 2025

« Il faut siffler la fin de la récré ! » – Interview exclusive de Laurent Filoche, après sa lettre ouverte adressée à la FCA

Qu’est-ce qui vous a poussé à réagir publiquement aux propos du Collège pharmacie de la FCA ?

Laurent Filoche : Plusieurs éléments m’y ont conduit. Chacun peut défendre son modèle, et c’est légitime : chaque organisation a ses propres atouts. Mais cela ne justifie pas de chercher à délégitimer un modèle concurrent.

Dans ce contexte, la FCA a soutenu une niche fiscale destinée à favoriser exclusivement les coopératives, finalement retoquée par le Sénat. Une telle démarche visait à instaurer une iniquité compétitive, alors même que les pharmaciens choisissent librement leur groupement et que la concurrence doit rester saine. Aller jusqu’à déposer un amendement – en s’appuyant de surcroît sur quelqu’un qui souhaitait interdire tous les groupements – pour opposer des “bons” et des “mauvais” groupements et s’attribuer un avantage fiscal indu dépasse clairement les limites.

Ma lettre ouverte avait pour objectif de rappeler ce cadre : chacun peut mettre en avant les atouts de son modèle, mais cela ne doit jamais se faire au détriment d’autres structures. À un moment, il faut « siffler la fin de la récré » !

Voit-on une montée des oppositions entre coopératifs et non coopératifs ?

L. F. : La création de l’UPGF a redessiné certains équilibres et a conduit à des prises de position plus tranchées dans le paysage syndical. Dans ce contexte, certaines communications diffusées sur les réseaux sociaux ont introduit une lecture opposant des “bons” et des “mauvais” groupements, ce qui ne fait qu’accentuer une polarisation inutile.

Pourtant, un groupement reste avant tout une société de services choisie par des pharmaciens. Tous ont la même valeur, sont soumis au même code de déontologie et assument les mêmes missions de santé publique. Dénigrer un groupement revient donc à dénigrer les pharmaciens qui y adhèrent. C’est une dérive dangereuse.

Près de 50 % des pharmaciens n’ont pas choisi la coopérative ?

L. F. : Ce constat montre la diversité du terrain et des attentes. La profession est plurielle et il est essentiel que chacun puisse s’orienter vers le modèle qui lui correspond.

Les coopératives offrent certains avantages, notamment les dividendes coopératifs, mais ceux-ci reviennent aux pharmaciens un an ou un an et demi après la clôture. Beaucoup privilégient des modèles plus performants économiquement, où les rémunérations sont plus rapides.

Le terme “financiarisation” revient régulièrement. Que recouvre-t-il exactement ?

L. F. : La financiarisation qu’il faut combattre, c’est la financiarisation de la pharmacie : le risque que des tiers extérieurs détiennent le capital des officines. Sur ce point, il existe une unanimité totale dans la profession. UDGPO, UNPF, UPGF : tout le monde est aligné et cela inscrit dans notre charte d’engagement.

En revanche, les groupements sont des sociétés de services. Ils peuvent être coopératifs ou des sociétés de droit privé, avec ou sans apports extérieurs. Cela relève du droit privé. Sauf à nationaliser toutes les sociétés privées du pays, ce qui reviendrait à dire que la France adopte un modèle économique radicalement différent, il est impossible d’empêcher l’existence de ces structures. La dérive consiste à confondre la financiarisation des officines et le fonctionnement des groupements.

Le capital des officines appartient aux pharmaciens : oui. Mais, vouloir limiter leurs partenariats, ou restreindre leur liberté d’organisation, est inacceptable.

Certains estiment que le débat actuel dépasse le simple cadre des modèles économiques. Comment analysez-vous cette évolution ?

L. F. : À mon sens, ces démarches visent effectivement à obtenir un avantage concurrentiel qui n’a pas lieu d’être et elles n’aboutiront pas. Au regard de la situation budgétaire actuelle, il n’est tout simplement pas envisageable de créer une niche fiscale destinée à favoriser un modèle plutôt qu’un autre. Une telle mesure n’apporterait rien ni à la pharmacie, ni aux pharmaciens.

Vous évoquez la nécessité de “prendre de la hauteur”. Pourquoi ?

L. F. : Nous traversons une période où la profession devrait être rassemblée : les remises, les tensions économiques, la fragilité du réseau rendent indispensable une cohésion forte. Or, au lieu de cela, certains accentuent les divisions. Des catégories sont créées, des modèles sont opposés, des tentatives de légiférer apparaissent pour obtenir des avantages ciblés. Cela affaiblit notre position vis-à-vis de l’Assurance maladie, des autorités publiques et des patients. C’est dangereux et contre-productif.

Quel message souhaitez-vous faire passer ?

L. F. : J’invite chacun à valoriser son modèle et à mettre en avant ce qu’il apporte. La concurrence peut être un moteur utile, à condition d’être loyale. Chercher à déstabiliser les autres ou à obtenir des avantages législatifs ciblés traduit une faiblesse, pas une force.