Grève des pharmaciens : 92 % d’officines fermées, l’USPO dénonce une « erreur de calcul majeure » — interview exclusive pour Pharma365

Dans cette interview exclusive pour Pharma365, Pierre‑Olivier Variot, président de l’USPO, parle de la fermeture historique des officines le 16 août, démonte les estimations officielles de l’impact financier et détaille les prochaines étapes d’un bras de fer syndical et politique.

Par Thomas Kassab, publié le 14 août 2025

Grève des pharmaciens : 92 % d’officines fermées, l’USPO dénonce une « erreur de calcul majeure » — interview exclusive pour Pharma365

Le 16 août 2025 maquera les annales de l’officine. À l’appel de plusieurs organisations (USPO, UDGPO, Federgy, UNPF), les pharmacies protestent contre la baisse du plafond des remises sur les génériques, décidée par arrêté. Mesure jugée « inédite et unilatérale », elle est accusée d’ébranler l’équilibre économique des officines. Résultat : un taux record de fermetures à prévoir, une large couverture médiatique et un soutien politique transversal. Au cœur du conflit : un écart massif entre les pertes estimées par le ministère et celles chiffrées par la profession, ainsi qu’une méthode de calcul contestée.

Pierre-Olivier Variot, Président de l’USPO

Pierre-Olivier Variot, Président de l’USPO

Une mobilisation historique malgré des disparités régionales

Pierre-Olivier Variot : Notre sondage interne, fondé sur 5 000 réponses, montre que 92 % des officines resteront fermées le 16 août. C’est colossal. Dans des départements comme les Bouches-du-Rhône ou les Alpes-Maritimes, on frôle 90 % de fermetures ; à l’inverse, Toulon a moins suivi. Ces écarts reflètent différentes dynamiques : l’USPO a impulsé le mouvement, rapidement relayé par l’UDGPO, Federgy et l’UNPF, tandis que la FSPF préférait septembre. On a prouvé qu’un mois réputé « creux » pouvait devenir décisif avec une préparation solide.

« 92 % de pharmacies fermées : un chiffre que le gouvernement ne peut plus ignorer. »

Une couverture médiatique et un soutien politique transpartisans

P.-O. V. : Nous avons comptabilisé plus de 300 contacts presse sur la journée (TV, radio, presse, web). Les grands médias nationaux ont amplifié le message. Près de 180 parlementaires nous ont écrit, toutes tendances confondues. François Hollande a même proposé de déposer un amendement via le Parti socialiste. Des élus LR, RN, écologistes et de la majorité nous soutiennent. Ce front transversal montre que l’enjeu dépasse les clivages : il touche l’accès aux soins et l’équilibre économique du réseau.

« François Hollande a proposé de déposer un amendement pour défendre notre position. »

Un rendez-vous gouvernemental jugé trop tardif

P.-O. V. : Nous avons eu de longs échanges avec Matignon (téléphone le week-end, puis SMS et e-mails). Le rendez-vous est fixé au 9 septembre. C’est trop tard. Entre-temps, la tension ne retombera pas. Le gouvernement commence seulement à mesurer l’ampleur de son erreur d’appréciation.

L’écart abyssal sur l’évaluation des pertes

P.-O. V. : Le ministère parle de 4 000 € par pharmacie. C’est irréaliste. Nos calculs, corroborés par OffiSanté, montrent 30 000 à 35 000 € par officine, soit ≈ 280 M€ si 30 % du réseau est touché et ≈ 600 M€ si 20 % l’est. Ces chiffres intègrent la réalité des volumes, des conditions contractuelles et de nos marges. Réduire cela à 4 000 €, c’est nier la réalité du terrain.

« Dire que la perte est de 4 000 € par pharmacie, c’est nier la réalité du terrain. »

Une erreur de méthode sur les contrats avec les génériqueurs

P.-O. V. : Le cœur du problème est méthodologique : Bercy a simulé l’impact avec des remises « générales » (20 %/40 %) sans intégrer les contrats de semi-exclusivité. Quand une officine est “numéro 1” chez un génériqueur, la remise est 40 % sur de nombreuses molécules — pas 20 %. C’est un pilier de notre économie ; l’ignorer, c’est massivement sous-évaluer le choc.

Rumeurs autour de Biogaran ?

P.-O. V. : Je reste prudent, mais la concomitance interroge : l’annonce de projets de cession de Biogaran par Servier a circulé, puis a été mise en pause quelques mois plus tard. Le silence public de la filière au plus fort de la crise a surpris, tandis que l’administration invoquait la “protection des laboratoires français”. Nous ne tirons pas de conclusions hâtives, mais la séquence soulève des questions.

« Ces signaux ont été assez forts pour que l’État se dise prêt à encadrer toute opération sensible. »

Une stratégie de mobilisation longuement anticipée

P.-O. V. : Ce succès n’est pas le fruit du hasard. Nous avons consulté la base (y compris en Côte-d’Or), mobilisé les présidents départementaux, préparé patients, élus et médias. Même des officines de centres commerciaux ou de zones touristiques ont fermé malgré le manque à gagner. Nous voulions une mobilisation incontestable, par son ampleur et sa légitimité.

Les prochaines étapes ?

P.-O. V. : Le CA de l’USPO se réunira très vite. Après la séquence gouvernementale, nous ouvrirons un temps d’action politique et parlementaire : relais des soutiens, travail d’amendements, pression médiatique. Le 16 août n’est qu’une étape. Nous irons au bout pour retirer ou réviser en profondeur cette mesure.