Franchises médicales : vers une collecte au comptoir ?

Le gouvernement envisage un changement radical : faire régler les franchises médicales directement au comptoir, y compris en pharmacie. Une mesure présentée comme un levier de responsabilisation des patients… mais qui soulève de nombreuses réserves côté officine.

Par Thomas Kassab, publié le 30 juillet 2025

Franchises médicales : vers une collecte au comptoir ?

Ce qui change : visibilité, pas rétribution

Actuellement, la franchise médicale – 1 € par boîte de médicament ou acte paramédical, 4 € par transport sanitaire – est discrètement déduite des remboursements de l’Assurance maladie. Chaque patient en est redevable dans la limite de 50 € par an, et aucune mutuelle ne prend en charge ce montant.
Mais, à partir de 2026, dans le cadre d’un durcissement de la politique de responsabilisation, le gouvernement souhaite que cette franchise soit payée directement, dès la réalisation de l’acte ou la délivrance du médicament. Elle serait visible, concrète, exigible – y compris à l’officine.

L’objectif affiché : faire prendre conscience au patient du coût de sa consommation de soins et enrayer une forme de désengagement économique. Le changement est donc davantage idéologique que structurel : le montant ne change pas, mais sa perception, oui.

Un rôle de collecteur imposé

Concrètement, cela signifie que nous serions chargés de faire payer cette franchise au patient, au moment de l’achat. Ce recouvrement serait ensuite reversé à la Sécurité sociale, sans que l’officine ne conserve quoi que ce soit.
Ce mécanisme n’a rien d’une taxe professionnelle, ni d’une marge supplémentaire : il s’agit d’un rôle administratif imposé sans rémunération, une forme de « trésorerie grise » au service du régime obligatoire.

De nombreuses voix s’élèvent déjà contre ce glissement de fonction. Nous ne sommes ni percepteurs publics, ni agents de recouvrement de la CPAM. Assumer une mission comptable sensible, sans compensation, dans un contexte de tensions économiques fortes, apparaît difficilement acceptable.

Le précédent avorté des dispositifs médicaux

Dans un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, le gouvernement avait également envisagé d’instaurer une franchise spécifique sur les dispositifs médicaux remboursables, à hauteur de 1 € par produit, également plafonnée à 50 € par an.
Pansements, orthèses, aérosols, lecteurs de glycémie… tous auraient pu être concernés. Mais, face à l’opposition unanime de la profession, et à un rejet politique croissant au Sénat, cette disposition a été retirée du texte.

Pour autant, rien ne garantit qu’elle ne reviendra pas sous une autre forme. La stratégie des « franchises sectorielles » permettrait à l’État de générer des économies substantielles sans toucher au niveau de remboursement facial. Un levier budgétaire trop tentant pour qu’il soit abandonné durablement.

Un risque de tension relationnelle avec les patients

Ce transfert de perception vers le comptoir introduit par ailleurs une modification dans la relation officinale, avec un risque non négligeable de conflits ou d’incompréhensions.
Nombreux sont les patients qui ignorent l’existence de cette franchise. D’autres la confondent avec le ticket modérateur, un dépassement d’honoraires ou un reste à charge lié à leur complémentaire santé. À nous de leur expliquer qu’il s’agit d’un montant non remboursable, obligatoire et indépendant de toute décision officinale.

Il faudra gérer les contestations, les refus de paiement, les situations sociales délicates… tout cela sans compensation financière, alors même que notre charge de travail explose et que les tensions économiques pèsent lourdement sur la viabilité des structures.

Un signal politique mal reçu

Le timing de cette réforme – en pleine période de réduction des remises génériques et d’instabilité économique – n’arrange rien. Après avoir été privés d’une partie de notre marge de manœuvre sur les génériques, nous voici à nouveau mis à contribution pour financer les caisses de l’État… sans aucune revalorisation en contrepartie.
La profession réclame depuis longtemps une juste reconnaissance des missions de santé publique accomplies au quotidien : entretiens, prévention, accompagnement, triage, suivi des fragilités… Autant de services invisibles, non rémunérés, mais essentiels à la qualité du système.

Nous demander d’assurer le recouvrement d’une franchise sans dialogue, sans contrepartie, sans statut ni protection, ne peut être vu que comme un affront supplémentaire.

Et maintenant ?

Rien n’est encore acté dans les textes opérationnels. Les modalités précises (plages horaires, exonérations, méthodes de recouvrement, traitement en tiers payant, obligations de traçabilité) restent à définir.
Mais l’orientation politique semble claire : rendre la franchise visible, tangible et immédiate, avec un passage de relais logistique vers les professionnels de terrain.

Un nouvel épisode où l’on nous demande de faire plus… pour rien.