Doctolib sanctionné pour abus de position dominante : l’Autorité de la concurrence inflige 4,665 millions d’euros d’amende

L’Autorité de la concurrence sanctionne Doctolib pour avoir verrouillé les marchés de la prise de rendez-vous médicaux et de la téléconsultation, via des clauses d’exclusivité, des ventes liées et le rachat « prédatoire » de MonDocteur. Une première en e-santé française.

Par Thomas Kassab, publié le 07 novembre 2025

Doctolib sanctionné pour abus de position dominante : l’Autorité de la concurrence inflige 4,665 millions d’euros d’amende

Une enquête au long cours qui secoue la e-santé

C’est une décision majeure pour le secteur du numérique en santé.
Le 6 novembre 2025, l’Autorité de la concurrence a infligé à Doctolib une amende de 4,665 millions d’euros pour abus de position dominante.
Cette sanction découle d’une plainte de Cegedim Santé, suivie d’une opération de visite et de saisie réalisée en 2021 au siège du groupe.
Les investigations ont mis en évidence une stratégie globale de verrouillage des marchés, combinant des pratiques d’exclusivité, de ventes liées et une acquisition jugée prédatrice.

Des contrats conçus pour verrouiller le marché

Jusqu’à la fin de l’année 2023, les contrats d’abonnement Doctolib comportaient une clause d’exclusivité interdisant aux professionnels de santé d’utiliser d’autres plateformes de prise de rendez-vous ou de téléconsultation.
Une seconde clause, dite « anti-allotement », permettait à Doctolib de suspendre ou résilier le contrat si un praticien recourait à un service concurrent.
L’Autorité a souligné le caractère délibéré de cette pratique : des échanges internes mentionnent la volonté d’être « une interface obligatoire et stratégique entre le médecin et son patient ».
La direction juridique du groupe avait pourtant alerté sur le risque d’illégalité, sans être entendue.

Ces clauses ont eu pour effet de réduire la liberté de choix des professionnels, tout en freinant le développement des acteurs concurrents tels que Maiia, KelDoc, Qare ou Solocal.

Une vente liée entre l’agenda et la téléconsultation

L’enquête révèle également que l’accès au service Doctolib Téléconsultation, lancé en 2019, était conditionné à la souscription préalable de l’offre Doctolib Patient.
Autrement dit, un praticien souhaitant effectuer des téléconsultations devait nécessairement payer pour la solution d’agenda, même s’il utilisait déjà un autre service.
L’Autorité considère qu’il s’agit d’une vente liée, renforçant artificiellement la position dominante de Doctolib sur les deux segments du marché : celui de la prise de rendez-vous et celui des téléconsultations.

MonDocteur : le rachat qui a fait disparaître un concurrent

Le dossier s’étend aussi à l’acquisition, en juillet 2018, de la société MonDocteur, présentée dans les documents internes de Doctolib comme le « concurrent #1 ».
L’Autorité a estimé que cette opération, réalisée sous les seuils de notification, visait avant tout à éliminer un rival plutôt qu’à renforcer une offre.
Des échanges internes évoquent la volonté de « killer le produit » et de « fonctionner sans plus aucune concurrence ».
Cette pratique a été analysée à la lumière de la jurisprudence Towercast de la Cour de justice de l’Union européenne (mars 2023), qui autorise la sanction d’une acquisition anticoncurrentielle même en l’absence de notification préalable.
C’est la première application en France de ce principe à un acteur du numérique en santé.

Des parts de marché écrasantes

Entre 2017 et 2022, Doctolib détenait plus de 50 % du marché de la prise de rendez-vous médicaux en ligne, atteignant parfois 90 % selon les années.
Sur la téléconsultation, sa part de marché dépasse 40 % depuis 2019.
L’Autorité relève que ces positions, renforcées par les effets de réseau, ont permis à Doctolib d’augmenter ses tarifs de 10 à 20 % après le rachat de MonDocteur, sans perte notable de clientèle, preuve d’un pouvoir de marché difficilement contestable.

Une sanction mesurée mais exemplaire

Au total, Doctolib écope de 4 615 000 € pour les pratiques d’exclusivité et de ventes liées, et de 50 000 € pour l’acquisition prédatrice de MonDocteur.
L’Autorité justifie le faible montant de la seconde amende par « l’incertitude juridique » précédant l’arrêt Towercast.
Doctolib doit en outre publier un résumé de la décision dans Le Quotidien du Médecin (édition papier et numérique).

Doctolib conteste et fait appel

Le lendemain de la décision, Doctolib a annoncé son intention de faire appel, affirmant « avoir toujours agi dans l’intérêt des professionnels de santé et des patients ».
Le groupe souligne avoir supprimé les clauses d’exclusivité depuis 2023 et défend un modèle « fondé sur la qualité du service et la sécurité des données ».
Il conteste tout comportement visant à restreindre la concurrence.

Une mise en garde pour tout l’écosystème

Pour l’Autorité de la concurrence, cette décision fait jurisprudence : aucune entreprise, aussi innovante soit-elle, n’est au-dessus du droit de la concurrence.
Elle rappelle que les plateformes de santé numérique, y compris celles utilisées par les officines pour la téléconsultation assistée, doivent garantir la liberté de choix des professionnels.
Les acteurs de la e-santé sont désormais avertis : la régulation du secteur s’intensifie, et la frontière entre succès commercial et abus de position dominante devient plus étroite que jamais.