Déserts médicaux : l’Assemblée défie l’exécutif, les pharmaciens en ligne de front
En votant une proposition de loi encadrant l’installation des médecins, l’Assemblée nationale ravive les tensions sur l’accès aux soins. Entre régulation forcée et pacte gouvernemental, le rôle des professionnels de santé de proximité, dont les pharmaciens, s'annonce plus stratégique que jamais.

Une première brèche contre la liberté d’installation ?
Adoptée en première lecture le 6 mai par 99 voix contre 9, la proposition de loi portée par Guillaume Garot (PS) instaure un principe simple : tout médecin souhaitant s’installer devra obtenir le feu vert de l’ARS, sauf dans les zones sous-dotées où l’installation resterait libre. Ce texte transpartisan, soutenu par plus de 250 députés de divers bords, entend briser un tabou républicain : celui d’une liberté d’installation perçue par ses détracteurs comme incompatible avec l’égalité d’accès aux soins.
« La régulation n’est pas une punition, mais une nécessité face au creusement des inégalités territoriales », a défendu le député Garot. Une tribune signée par 1 500 élus locaux, publiée dans Le Journal du Dimanche, plaide en faveur de ce mécanisme d’équilibrage territorial. Mais les syndicats de médecins libéraux, eux, crient à la trahison du modèle libéral. Le syndicat Jeunes Médecins dénonce une « mesure de façade qui ne résout rien » et pointe du doigt la « précarisation de l’exercice libéral et l’inefficacité chronique des politiques hospitalo-centrées ».
Le gouvernement contre-attaque via le Sénat
Favorable à une autre approche, le gouvernement Bayrou a déclenché la procédure accélérée sur un second texte, porté par le sénateur LR Philippe Mouiller. Ce projet, débattu dès le 12 mai, propose une régulation incitative : l’installation en zones denses serait conditionnée à une activité partielle dans les zones déficitaires. Une mesure jugée plus acceptable par les syndicats, bien que perçue comme une contrainte déguisée.
« Ce que nous défendons, c’est une logique de solidarité territoriale qui respecte la liberté des praticiens », a expliqué le ministre de la Santé Yannick Neuder lors d’un point presse le 6 mai. Il ajoute que le pacte gouvernemental présenté le 25 avril propose d’aller plus loin avec la suppression du numerus clausus et l’obligation de deux jours mensuels de présence en zone tendue.
Les pharmaciens : premiers témoins de la détresse sanitaire locale
Face à l’incapacité croissante des patients à trouver un médecin traitant, les pharmaciens d’officine deviennent des vigies incontournables de la désertification médicale. Ils réalisent déjà plus de 5 millions de dépistages et consultations chaque année, et la tendance s’accélère. Pour Philippe Besset, président de la FSPF, « le pharmacien est souvent le dernier recours dans certaines communes rurales. Il est urgent de redéfinir notre place dans la chaîne de soins ».
28 % des communes françaises n’ont plus aucun médecin généraliste selon l’Observatoire des déserts médicaux (CREDES, avril 2025).
Dans plusieurs départements, les ARS expérimentent des protocoles de coopération officine-médecins, notamment pour le suivi de pathologies chroniques ou la vaccination. Une initiative saluée par l’Ordre des pharmaciens, qui rappelle que « les officinaux ne demandent qu’à élargir leur périmètre d’action, à condition d’un cadre clair et sécurisé », selon Carine Wolf-Thal, présidente de l’Ordre.
Une régulation à haut risque politique
Le vote de l’Assemblée s’inscrit dans un contexte tendu. Si les Français sont 73 % à se dire favorables à une forme de régulation (sondage IFOP, mai 2025), la fronde des professionnels inquiète le gouvernement. Le spectre d’une grève des installations et d’une judiciarisation du processus inquiète les ARS. De son côté, l’Ordre des médecins prévient : « Nous n’accepterons jamais qu’un algorithme détermine la localisation des vocations », martèle François Arnault, son président.
En parallèle, des amendements pourraient durcir le ton : des sénateurs de la majorité envisagent de conditionner les aides à l’installation à l’exercice effectif dans les territoires sous-dotés, voire d’instaurer un numerus clausus régional.
Quelle place pour l’officine dans ce jeu d’équilibriste ?
Alors que les négociations conventionnelles sont en cours, les syndicats pharmaceutiques rappellent que l’officine peut jouer un rôle-clé de pivot dans les zones désertifiées. Consultations pharmaceutiques, dépistages, prévention, télémédecine : autant d’outils à valoriser dans les territoires abandonnés par les médecins.
Mais, cette montée en charge suppose des moyens. « On ne peut pas compenser l’absence de médecins sans revaloriser notre acte professionnel », martèle Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. Dans l’immédiat, les pharmaciens appellent à être pleinement intégrés aux concertations territoriales et à bénéficier d’un cadre élargi de coopération, au même titre que les infirmiers ou les sages-femmes.