Interview exclusive - ASAFO-Pharma : 15 000 signalements, 13 millions d’euros évités

Un an après sa généralisation, ASAFO-Pharma s’impose comme l’un des téléservices les plus stratégiques de l’Assurance Maladie. Avec plus de 15 000 signalements, 13 millions d’euros de fraudes stoppées et de nouveaux chantiers à venir, l’outil entre dans une phase de consolidation et d’intégration au cœur des logiciels d’officine.

Par Thomas Kassab, publié le 27 octobre 2025

Interview exclusive – ASAFO-Pharma : 15 000 signalements, 13 millions d’euros évités

Un outil qui change les réflexes officinaux

Depuis son déploiement à l’été 2024, ASAFO-Pharma s’est imposé comme un réflexe dans de nombreuses pharmacies. Conçu pour centraliser les suspicions de fausses ordonnances et mutualiser les alertes, ce téléservice permet aux équipes officinales de déclarer un document suspect, de consulter la base nationale des signalements validés par les caisses primaires et, surtout, d’éviter des délivrances indues.

Accessible via Ameli Pro, il s’adresse à toutes les officines et repose sur un principe simple : plus la vigilance est partagée, plus la détection est efficace. Fabien Badinier, représentant de la Caisse nationale d’Assurance Maladie (CNAM), souligne :

Nous observons une prise de conscience réelle et une appropriation rapide de l’outil par le réseau officinal

En douze mois, 15 000 signalements ont été transmis, trois sur quatre confirmés comme frauduleux après vérification. « Nous avions testé un algorithme d’intelligence artificielle ; il détectait moins de faux que les pharmaciens eux-mêmes », note-t-il.

Une typologie de fraude qui bascule vers le diabète

L’un des apports majeurs d’ASAFO-Pharma est de cartographier précisément les produits concernés. Fabien Badinier explique  :

Ce ne sont plus les médicaments onéreux qui dominent. Aujourd’hui, environ un tiers des ordonnances frauduleuses concernent les produits du diabète

Les antidiabétiques, les capteurs et lecteurs de glycémie ainsi que les bandelettes arrivent en tête, loin devant les traitements oncologiques. Cette évolution reflète le détournement d’usaged’antidiabétiques à visée amaigrissante, encouragé par certains contenus en ligne.

Les pharmaciens nous remontent des faux très crédibles, parfois issus de modèles diffusés sur Internet.

Le deuxième foyer concerne les antalgiques (tramadol, codéine, buprénorphine), souvent associés à un paracétamol de légitimation (par exemple, un Doliprane® est rajouté à la fausse ordonnance pour « légitimer » la prescription).

Enfin, la prégabaline (Lyrica®) demeure un produit phare des détournements.

En valeur, les anticancéreux pèsent toujours le plus lourd, en raison de leur coût unitaire : « C’est là qu’on observe les trafics les plus structurés, parfois avec des mules recrutées sur les réseaux sociaux et une revente à l’étranger. »

13 millions d’euros stoppés

En 2024, plus de 13 millions d’euros de prescriptions frauduleuses ont été bloquées, contre 11,5 millions l’année précédente. Fabien Badinier analyse :

Ce n’est qu’une partie du phénomène, mais c’est un signal fort de vigilance collective

Au-delà des chiffres, ASAFO-Pharma a un effet dissuasif : la diffusion nationale des signalements décourage la reproduction des mêmes schémas de fraude. Les officines qui consultent régulièrement la base voient ainsi diminuer le risque d’indus.

Des fausses ordonnances perfectionnées et plus difficiles à repérer

Les fraudes évoluent aussi vite que les outils de détection. Fabien Badinier constate :

Les fautes grossières ont disparu : les documents sont générés par IA, avec un vrai numéro RPPS, un cachet authentique et une mise en page impeccable

Cette sophistication complique la tâche du pharmacien, tenu d’assurer la vérification de l’authenticité de l’ordonnance avant délivrance. ASAFO-Pharma permet désormais de retracer les ordonnances déjà signalées à partir du numéro NIR ou du nom du prescripteur, limitant ainsi le risque de récidive.

Les délais de traitement restent variables. « Lorsque le prescripteur est libéral, la vérification est rapide ; pour les médecins hospitaliers, plus difficiles à contacter, le délai s’allonge », précise-t-il. Chaque signalement déclenche un mail automatique au médecin concerné.

Un accès encore perfectible pour les équipes officinales

L’accès à ASAFO se fait actuellement via CPS, e-CPS ou CPE avec délégation de droits. En pratique, cela oblige encore de nombreux pharmaciens adjoints à utiliser une carte CPE dédiée, installée sur un poste précis. Fabien Badinier confirme :

Le besoin d’un accès direct via la e-CPS adjoint est bien identifié, mais il suppose un développement spécifique. Pour l’heure, notre priorité reste l’intégration dans les logiciels métiers

Une évolution réclamée de longue date par la profession, afin de fluidifier l’usage au comptoir, notamment lors des gardes ou de l’absence du titulaire.

Intégration LGO et alertes automatiques : la prochaine étape

L’Assurance Maladie prévoit désormais l’intégration d’ASAFO-Pharma dans les logiciels de gestion officinale. Fabien Badinier indique :

Comme pour les autres téléservices, l’objectif est que les pharmaciens puissent signaler et consulter sans quitter leur environnement de travail

Cette connexion s’accompagnerait, à terme, d’une alerte via ADRi lors du contrôle des droits (ALD, maternité, CSS). « C’est techniquement possible mais complexe ; le chantier est inscrit dans notre feuille de route », précise-t-il.

Responsabilités, sanctions et bonnes pratiques

Les règles sont claires :

  • Si l’ordonnance était nouvelle et indétectable, aucun indû n’est appliqué.
  • Si elle était déjà répertoriée dans ASAFO et que le pharmacien délivre malgré tout, la responsabilité de l’officine peut être engagée.

Les assurés impliqués dans des fraudes avérées peuvent être sanctionnés par des pénalités financières conséquentes, voire par une suspension de droits. « L’outil protège autant qu’il responsabilise », résume Fabien Badinier.

Dans les cas les plus graves (anticancéreux, médicaments onéreux), la coordination avec les forces de l’ordre permet d’organiser des opérations de flagrant délit.

Un réflexe professionnel plus qu’une contrainte

La ROSP “lutte contre la fraude” prévoit 100 € si l’outil est consulté au moins 46 semaines par an, mais l’enjeu dépasse largement l’incitation financière. Fabien Badinier insiste :

ASAFO n’est pas une obligation liée à la ROSP : c’est une protection. Se connecter juste pour la prime n’a pas de sens. Chaque vérification évite un indû, une perte financière et parfois un trafic organisé.

À savoir

Face à une ordonnance suspecte : les bons réflexes

  1. Contacter le prescripteur pour vérifier la validité du document.
  2. Consulter ASAFO-Pharma pour repérer d’éventuels signalements.
  3. Ne pas délivrer tant que le doute subsiste ; proposer un report au patient.
  4. Déclarer dans la plateforme si la suspicion se confirme.
  5. Prévenir les forces de l’ordre uniquement pour les produits très onéreux ou les trafics présumés.