La dermatologie à l'officine : l'expertise pratique à avoir au comptoir.

À l'officine, la dermatologie couvre un large spectre de pathologies, allant des affections mineures comme l'acné, l'eczéma et les infections fongiques, jusqu'aux maladies plus complexes nécessitant une surveillance et des soins réguliers. Cette diversité demande une connaissance approfondie et constamment actualisée des produits et des traitements disponibles. En outre, la demande croissante pour des produits de soins dermatologiques spécialisés illustre l'évolution des besoins des patients et l'opportunité pour les pharmacies d'élargir leur offre et leur expertise dans ce domaine. En fournissant des conseils personnalisés et en aidant à la gestion des traitements, les pharmaciens jouent un rôle important dans l'amélioration de la santé cutanée de leurs patients.

Par Thomas Kassab, DU de pharmacie clinique, publié le 19 février 2024

La dermatologie à l’officine : l’expertise pratique à avoir au comptoir.

Sommaire

La prise en charge des dermatoses est une composante essentielle de la pratique en pharmacie. Chaque dermatose présente des caractéristiques et des traitements spécifiques.

L’acné

Physiopathologie

Hyperproduction de sébum : les glandes sébacées produisent un excès de sébum sous l’influence des androgènes. Ce sébum excessif, combiné aux cellules mortes de la peau, peut donner lieu à des obstructions au niveau des follicules pilosébacés.

Hyperkératinisation : l’accumulation de kératine dans le follicule pilosébacé forme un bouchon (comédon), qui peut être ouvert (point noir) ou fermé (point blanc). Elle favorise l’accumulation de sébum.

Inflammation et P. acnes : la bactérie Propionibacterium acnes, naturellement présente sur la peau, prolifère dans cet environnement riche en sébum. Son activité métabolique provoque une réaction inflammatoire, entraînant rougeurs, gonflements et parfois des pustules.

Inflammation : l’inflammation, via les cytokines inflammatoires, joue un rôle clé à toutes les étapes de l’acné, des lésions initiales non inflammatoires aux lésions inflammatoires plus avancées.

Prédispositions et facteurs aggravants : prédispositions génétiques, hormonales (les fluctuations hormonales, particulièrement les androgènes), facteurs externes (cosmétiques, pollution…) et le stress. Bien que controversée, la relation entre l’alimentation (aliments à indice glycémique élevé, produits laitiers) et l’acné est de plus en plus reconnue.

L’arsenal thérapeutique face à l’acné

Rétinoïdes topiques : les rétinoïdes, comme le trétinoïne, agissent en normalisant la desquamation folliculaire et en réduisant l’obstruction. Ils ont également des effets anti-inflammatoires.

Antibiotiques : topiques (comme la clindamycine) et oraux (comme la doxycycline), ils réduisent la colonisation de P. acnes et l’inflammation. Cependant, leur utilisation doit être contrôlée pour éviter la résistance bactérienne.

Agents kératolytiques : l’acide salicylique, par exemple, aide à dissoudre le bouchon de kératine dans les pores, aidant à l’élimination des comédons.

Hormonothérapie : les contra ceptifs oraux, comme l’acétate de cyprotérone associé à l’éthinylestradiol, et les antiandrogènes peuvent être efficaces chez les femmes présentant des signes d’hyperandrogénisme.

Traitements innovants : la photothérapie et des traitements au laser offrent des options supplémentaires pour les cas résistants.

La rosacée

La rosacée est une affection dermatologique chronique et complexe, principalement centrée sur le visage. Sa gestion nécessite une compréhension approfondie de sa physiopathologie et des options thérapeutiques disponibles.

Physiopathologie

La rosacée se caractérise par des rougeurs persistantes (érythème) sur le visage, souvent accompagnées de papules et de pustules. Dans les cas avancés, une hypertrophie des glandes sébacées peut conduire à un épaississement de la peau, en particulier sur le nez (rhinophyma).

Facteurs vasculaires et inflammatoires : bien que le mécanisme exact reste inconnu, il est largement admis que la rosacée implique à la fois des composantes vasculaires et inflammatoires. Les dysfonctionnements vasculaires entraînent une vasodilatation, contribuant à l’érythème et à la sensibilité cutanée.

Facteurs déclenchants : divers facteurs peuvent exacerber la rosacée, notamment les changements de température, la consommation d’alcool et d’aliments épicés, le stress et l’exposition aux UV. Le rôle des acariens cutanés (comme Demodex folliculorum) et de certaines bactéries est également étudié.

Composante immunitaire : des anomalies dans la réponse immunitaire innée et adaptative peuvent contribuer à l’inflammation observée dans la rosacée.

L’arsenal thérapeutique face à la rosacée

Antibiotiques topiques et oraux : le métronidazole, l’ivermectine et l’acide azélaïque sont fréquemment utilisés pour réduire l’inflammation et les lésions papulo-pustuleuses. Les antibiotiques oraux, tels que la doxycycline à faible dose, sont utilisés pour leur effet anti-inflammatoire plutôt qu’antibactérien.

Agents anti-inflammatoires : ces agents aident à réduire l’inflammation cutanée et les rougeurs associées à la rosacée.

Thérapies laser et lumière intense pulsée (LIP) : ces technologies ciblent les vaisseaux sanguins dilatés pour diminuer l’érythème et l’apparence des rougeurs. Elles peuvent être particulièrement bénéfiques pour les sous-types de rosacée présentant des symptômes vasculaires prononcés.

Une partie essentielle du traitement consiste à éduquer les patients sur l’identification et la gestion des facteurs déclenchants personnels. Côté soins de la peau, des produits doux, non irritants et adaptés à la peau sensible sont recommandés pour minimiser l’irritation cutanée et soutenir la barrière cutanée.

La dermatite atopique

La dermatite atopique, ou eczéma atopique, est une affection dermatologique fréquente et souvent débilitante.

Physiopathologie

Anomalies de la barrière cutanée : la dermatite atopique est marquée par une altération de la barrière cutanée, souvent due à des mutations génétiques affectant les protéines de la peau, comme la filaggrine. Cette défaillance facilite la pénétration d’allergènes et de micro-organismes pathogènes, provoquant une inflammation.

Réactions immunitaires anormales : les patients atteints de dermatite atopique présentent souvent une réponse immunitaire hyperactive aux allergènes environnementaux. Cette réaction exagérée est due à une prédominance des voies immunitaires de type Th2, entraînant une inflammation chronique.

Facteurs environnementaux : les déclencheurs environnementaux tels que les allergènes (pollen, acariens), les irritants (savons, détergents), les changements de température et l’humidité jouent un rôle significatif dans l’exacerbation des symptômes.

Mode de vie : le stress et certains styles de vie peuvent influencer la sévérité et la fréquence des poussées. De plus, le grattage induit par les démangeaisons peut aggraver le problème (cycle prurit-grattage).

L’arsenal thérapeutique face à la dermatite atopique

Soins hydratants : les émollients sont fondamentaux pour restaurer la barrière cutanée. Ils doivent être appliqués régulièrement, même en l’absence de symptômes.

Corticostéroïdes topiques : utilisés pour réduire l’inflammation et le prurit. Il est important de les utiliser à bon escient pour minimiser les effets secondaires, comme l’amincissement de la peau.

Inhibiteurs de la calcineurine : comme le tacrolimus et le pimécrolimus, ces agents sont moins susceptibles de provoquer un amincissement de la peau et sont utiles dans le traitement des zones sensibles comme le visage et le cou.

Agents biologiques : pour les cas modérés à sévères, les agents biologiques ciblant des voies inflammatoires spécifiques (par exemple, les inhibiteurs de l’IL-4 et de l’IL-13) sont une option de plus en plus utilisée.

En parallèle, l’éducation sur les déclencheurs environnementaux et les habitudes de vie, ainsi que la gestion du stress, sont des composants essentiels du traitement. La recherche se concentre sur de nouvelles cibles thérapeutiques, y compris des médicaments immunomodulateurs et des thérapies microbiomiques.

Dermite séborrhéique

La dermite séborrhéique est une affection cutanée courante caractérisée par des éruptions cutanées inflammatoires dans les régions riches en glandes sébacées. Sa gestion nécessite une compréhension approfondie de sa physiopathologie et des stratégies thérapeutiques efficaces.

Physiopathologie

Inflammation dans les zones séborrhéiques : cette affection se manifeste principalement dans les zones riches en glandes sébacées, comme le cuir chevelu, le visage et le torse. L’inflammation dans ces zones est souvent associée à une production excessive de sébum.

Rôle des levures Malassezia : la dermite séborrhéique est souvent associée à une prolifération de levures du genre Malassezia, qui sont normalement présentes sur la peau. Ces levures peuvent métaboliser le sébum, produisant des acides gras qui irritent la peau et déclenchent une réaction inflammatoire.

Facteurs aggravants : des facteurs tels que le stress, les changements climatiques, l’immunodépression et les déséquilibres hormonaux peuvent exacerber les symptômes.

Aspects immunologiques : des réponses immunitaires altérées peuvent également jouer un rôle dans la pathogenèse de la dermite séborrhéique, en particulier chez les patients immunodéprimés.

L’arsenal thérapeutique face à la dermite séborrhéique

Shampoings antifongiques : contenant des principes actifs comme le kétoconazole, le pyrithione de zinc ou le sulfure de sélénium, ces shampoings réduisent la prolifération de Malassezia sur le cuir chevelu.

Corticostéroïdes topiques : utilisés pour réduire l’inflammation et l’irritation, ils sont particulièrement efficaces pour les poussées aiguës. Cependant, leur utilisation doit être limitée dans le temps pour éviter les effets secondaires comme l’atrophie cutanée.

Agents kératolytiques : des produits contenant de l’acide salicylique ou de l’acide lactique aident à éliminer les squames et à réduire l’épaisseur des plaques.

Soins de la peau et du cuir chevelu : une routine de soins douce, évitant les irritants et maintenant l’équilibre de la peau, est essentielle. Il est conseillé d’éviter les produits contenant de l’alcool et des parfums.

Antifongiques topiques : dans certains cas, des crèmes ou des lotions antifongiques peuvent être nécessaires pour traiter efficacement les zones affectées en dehors du cuir chevelu.

Mode de vie : la gestion du stress et des facteurs environnementaux est importante pour réduire la fréquence et la gravité des poussées.

Le psoriasis

Le psoriasis est une maladie inflammatoire chronique de la peau, avec une composante auto-immune prononcée. Son traitement nécessite une compréhension détaillée de sa physiopathologie complexe et des options thérapeutiques disponibles.

Physiopathologie

Prolifération cellulaire accélérée : la caractéristique principale du psoriasis est une augmentation rapide du taux de division des kératinocytes, les cellules de la couche supérieure de la peau. Cela conduit à l’épaississement typique des plaques psoriasiques.

Inflammation et réponse immunitaire : le psoriasis est associé à une activation anormale du système immunitaire. Les lymphocytes T et les cytokines inflammatoires jouent un rôle important dans la pathogenèse de la maladie.

Plaques cutanées : les zones touchées par le psoriasis se caractérisent par des plaques rouges recouvertes de squames argentées. Ces plaques peuvent être prurigineuses ou douloureuses et peuvent se fissurer et saigner.

Facteurs génétiques et environnementaux : bien qu’une prédisposition génétique soit souvent présente, des facteurs environnementaux peuvent déclencher ou exacerber la maladie.

L’arsenal thérapeutique face au psoriasis

Corticostéroïdes topiques : utilisés pour réduire l’inflammation et la prolifération des kératinocytes. Ils sont efficaces pour les formes légères à modérées de psoriasis.

Analogues de la vitamine D : comme le calcipotriol, ces composés aident à normaliser la croissance des cellules cutanées et à réduire l’inflammation.

Rétinoïdes topiques : les dérivés de la vitamine A aident à ralentir la prolifération cellulaire et sont utiles dans le traitement de certains types de psoriasis.

Thérapies systémiques : pour les cas modérés à sévères, des traitements systémiques comme le méthotrexate, la ciclosporine et les rétinoïdes oraux sont employés.

Agents biologiques : ces médicaments ciblent spécifiquement les voies inflammatoires impliquées dans le psoriasis. Ils incluent des inhibiteurs du TNF-alpha, des inhibiteurs de l’IL-17 et de l’IL-23, et sont indiqués pour les formes modérées à sévères.

Photothérapie : l’utilisation de la lumière UVB ou UVA (avec ou sans psoralène) peut être efficace, en particulier pour les patients qui ne répondent pas aux traitements topiques.

Communication avec le patient

Questions essentielles à poser

Durée et évolution : « Depuis combien de temps avez-vous ces symptômes, et ont-ils évolué avec le temps ? »

Localisation : « Pouvez-vous me montrer où les lésions ou les symptômes apparaissent sur votre corps ? »

Facteurs déclenchants : « Avez-vous remarqué si certains produits, aliments ou situations aggravent vos symptômes ? »

Traitements antérieurs : « Avez-vous déjà utilisé des traitements pour cela ? Si oui, lesquels et avec quel résultat ? »

Antécédents médicaux : « Avez-vous d’autres pathologies ? »

Les faux pas à éviter

Ne pas généraliser les traitements : chaque cas est unique. Évitez de recommander des traitements universels sans connaître les spécificités du patient.

Surutilisation des corticoïdes : attention à l’excès de crèmes corticoïdes, sur le visage ou d’autres zones sensibles, en raison du risque d’effets secondaires.

Ignorer les soins de la peau : ne sous-estimez pas l’importance des soins de la peau de base : hydratation et protection contre les irritants.

Oublier les comorbidités : surtout dans le cas du psoriasis, il est essentiel de prendre en compte les comorbidités potentielles telles que les troubles cardiovasculaires ou le diabète.