Obésité : quel potentiel thérapeutique pour Wegovy® ? Interview exclusive avec le Pr Sébastien Czernichow
Dans cette interview exclusive, le Pr Sébastien Czernichow décrypte les enjeux de la prise en charge de l’obésité en France, l’impact de la stigmatisation et le potentiel thérapeutique du Wegovy®. Une approche globale est indispensable pour affronter cette maladie complexe et multifactorielle.
L’obésité est devenue un enjeu de santé publique majeur, touchant près de 10 millions de personnes en France, avec des conséquences directes sur la qualité de vie et la santé des patients. Souvent stigmatisée, cette maladie chronique ne se limite pas à une question esthétique mais entraîne des complications graves, notamment cardiovasculaires et métaboliques. La prise en charge de l’obésité est complexe, nécessitant une approche globale associant nutrition, activité physique et parfois traitements médicamenteux comme le Wegovy®, récemment autorisé en France. Dans cette interview exclusive, le Pr Sébastien Czernichow, expert en nutrition, fait le point sur les enjeux actuels de la prise en charge de l’obésité, la stigmatisation des patients et le rôle que peuvent jouer les professionnels de santé, notamment les pharmaciens.
Qu’est-ce que l’obésité et quelle est sa prévalence actuelle ?
L’obésité est l’accumulation excessive de tissu adipeux, qui a des conséquences néfastes pour la santé. Il est crucial de ne pas réduire cette maladie chronique à une simple question esthétique. En France, environ 10 millions de personnes sont en situation d’obésité. Si l’on inclut les personnes avec un IMC de grade 2 et 3[1], cela représente près de 6 % de la population, soit environ 3,3 millions de Français souffrant d’obésité sévère. En cumulant l’obésité et le surpoids, on atteint presque 49 % de la population.
Quels sont les effets de la stigmatisation sur la santé des personnes obèses ?
La stigmatisation entraîne une sous-consultation, notamment pour les examens de dépistage, ce qui aggrave les risques pour la santé des personnes obèses. Par exemple, les femmes souffrant d’obésité sévère ont 20 à 30 % moins de chances d’avoir réalisé une mammographie ou un dépistage cervico-vaginal dans l’année. Cela conduit à un retard de diagnostic, notamment pour les cancers, qui sont souvent détectés à des stades plus avancés chez ces patientes. Ce phénomène, combiné à une morbidité plus élevée, augmente aussi la mortalité liée aux cancers chez les femmes obèses.
Quel rôle le pharmacien peut-il jouer dans la prise en charge de l’obésité ?
Le pharmacien peut jouer un rôle déterminant en encourageant les patientes à réaliser les examens de dépistage prévus par l’Assurance Maladie, en leur proposant de parler de leur maladie chronique s’ils le souhaitent. Le pharmacien peut par exemple évoquer l’utilité de la prise en charge globale de leur maladie, intégrant la diététique, l’activité physique adaptée et une éventuelle prise en charge psychologique.
Comment s’articule la prise en charge des patients en situation d’obésité ?
La prise en charge de l’obésité doit être personnalisée en fonction de la sévérité de la maladie et de la situation du patient. Par exemple, l’obésité de grade 1 (IMC entre 30 et 34,0 kg/m²) peut être prise en charge par les médecins généralistes ou les spécialistes de ville. En revanche, les patients souffrant d’obésité de grade 2 ou 3, avec des complications, doivent être orientés vers des centres spécialisés. Actuellement, 37 centres spécialisés en obésité (CSO) existent en France, offrant une prise en charge médico-chirurgicale coordonnée, avec des équipements adaptés.
Comment est encadrée la prescription de Wegovy® en France ?
Le RCP et l’AMM européenne indiquent que Wegovy® et Saxenda® peuvent être prescrits à partir d’un IMC de 27 kg/m² en présence de comorbidités liées au poids, ou au-delà de 30 kg/m² En France, l’ANSM a également restreint la prescription initiale de Wegovy® aux endocrinologues, diabétologues et nutritionnistes, bien que le renouvellement puisse être fait par tout médecin. Cette décision de l’ANSM suit l’avis de la HAS de décembre 2022 recommandant de réserver la prescription de Wegovy® aux patients ayant un IMC supérieur à 35 kg/m² et âgés de moins de 65 ans. La situation pourrait évoluer avec les résultats de l’étude SELECT, qui a montré une réduction de 20 % des événements cardiovasculaires majeurs (MACE).
La restriction de prescription constitue-t-elle une « perte de chance » pour les patients ?
La prescription du Wegovy® doit s’accompagner d’une prise en charge globale de modification du mode de vie (diététique, activité physique adaptée, notamment) et dans le cadre d’un parcours de soin coordonné. La restriction actuelle sera peut-être susceptible d’évoluer à mesure que la HAS réévaluera ses recommandations à la lumière des nouvelles données, notamment celles de l’étude SELECT.
Le sémaglutide est déjà utilisé dans le diabète, mais quelles sont ses particularités pour la perte de poids ?
Le sémaglutide agit sur les récepteurs du GLP-1, il mime les effets d’une hormone sécrétée par le tube digestif lors de l’arrivée des aliments. Il existe notamment des récepteurs dans l’estomac et l’intestin grêle, ce qui explique les effets secondaires fréquents, tels que les nausées, la constipation, la diarrhée ou les vomissements. Ces effets sont généralement transitoires et apparaissent surtout au début du traitement ainsi qu’aux changements de paliers de dose. En outre, le sémaglutide agit également au niveau cérébral, augmentant la sensation de satiété et réduisant ainsi la quantité d’aliments consommés, ce qui en fait un outil efficace pour la perte de poids.
Avez-vous des astuces pour minimiser les effets secondaires, notamment digestifs ?
Les effets secondaires digestifs sont communs aux molécules de la classe des agonistes du GLP-1. Réduire l’apport en lipides peut aider à diminuer les troubles digestifs. En cas de besoin, des antiémétiques ou des traitements contre la constipation peuvent également être prescrits pour améliorer le confort des patients, de façon transitoire. À l’avenir, de nouveaux médicaments (bi-agonistes et tri-agonistes) devraient être disponibles.
Dispose-t-on de données sur le maintien du poids après l’arrêt du traitement ?
Il est encore trop tôt pour avoir des données fiables sur le maintien du poids après l’arrêt de Wegovy®. Les essais cliniques suggèrent que le poids pourrait remonter, mais les données issues de la vraie vie sont encore limitées. Les résultats montrent néanmoins que la perte de poids observée dans les études cliniques est souvent moins marquée en pratique. Il est donc essentiel d’intégrer Wegovy® dans une prise en charge globale et de ne pas le considérer comme une solution unique ou miracle.