« L’apnée du sommeil reste encore trop peu diagnostiquée : le pharmacien peut jouer un rôle-clé »

À l’occasion de la publication de la cinquième enquête mondiale de ResMed sur le sommeil, Pharma365 a interrogé Anne Josseran, Associate Director Market Access Western Europe, et Florent Lavergne, Director Medical Affairs, sur l’enjeu de santé publique que constitue le SAOS, la place de la PPC, l’observance, le rôle du pharmacien, et les perspectives d’innovation.

Par Thomas Kassab, publié le 16 juin 2025

« L’apnée du sommeil reste encore trop peu diagnostiquée : le pharmacien peut jouer un rôle-clé »

Quelle est la prévalence du syndrome d’apnée obstructive du sommeil (SAOS) ? Qui est concerné ?

Florent Lavergne : En France, on estime que 4 à 6 % de la population adulte souffre de SAOS. C’est une pathologie sous-diagnostiquée, dont la prévalence augmente avec l’âge, mais pas seulement : l’obésité, l’hypertension artérielle, les troubles cardiovasculaires ou encore le diabète sont des facteurs de risque importants. Une étude mondiale évoque plus d’un milliard de personnes concernées dans le monde.

Quels sont les signes évocateurs qui doivent alerter ?

F.L. : Les symptômes les plus fréquents sont une somnolence diurne excessive — s’endormir devant la télévision ou au feu rouge —, des ronflements importants (souvent signalés par le conjoint), des céphalées matinales, une fatigue au réveil malgré 8 heures de sommeil. Ces signes doivent faire évoquer une apnée du sommeil, car les micro-réveils répétés dus aux événements apnéiques fragmentent le sommeil, empêchant l’entrée en sommeil profond ou paradoxal. Le sommeil devient alors non réparateur.

Peut-on quantifier cette gravité ?

F.L. : Oui. On classe le SAOS selon un index d’apnées-hypopnées (IAH). Le SAOS est dit léger en dessous de 15 événements par heure, modéré entre 15 et 30, et sévère au-delà de 30. Certains patients peuvent faire jusqu’à 80 événements par heure ! Cela a un impact direct sur le système nerveux autonome, l’oxygénation cérébrale, la pression artérielle… Les conséquences sont bien documentées : augmentation des risques cardiovasculaires, diabète, accidents de la route ou du travail, troubles métaboliques, dépression.

Comment se fait le diagnostic du SAOS ?

A.J. : Après une orientation par le généraliste ou un spécialiste (pneumologue, ORL…), une polygraphie ventilatoire est généralement prescrite. Elle s’effectue à domicile sur une nuit, via un appareil mesurant le flux respiratoire, les mouvements thoraco-abdominaux et la saturation en oxygène. Le diagnostic repose sur l’IAH combiné aux symptômes. Un test d’orientation (comme celui disponible sur le site de ResMed) peut déjà servir de premier signal pour enclencher un parcours de soins.

Quel est le traitement de référence ?

F.L. : C’est la pression positive continue (PPC). Elle consiste à insuffler de l’air sous pression via un masque afin de maintenir les voies aériennes ouvertes et éviter leur collapsus. Dès la première nuit, les apnées disparaissent. Le sommeil devient à nouveau réparateur. Pour les SAOS sévères (IAH > 30), c’est le traitement de première intention. Chez les patients moins sévères ou intolérants à la PPC, on peut envisager une orthèse d’avancée mandibulaire, ou plus rarement des options chirurgicales.

L’observance constitue-t-elle un frein majeur ?

A.J. : Oui. Il y a une variabilité d’adaptation au masque. Certains patients s’y font tout de suite, d’autres ont besoin de temps. Il faut une bonne étanchéité, une bonne pression, un confort adapté… Et surtout, une observance suffisante : idéalement 6 à 8 heures par nuit, avec un minimum recommandé de 4 heures. Pourtant, à trois ans, près de 50 % des patients interrompent leur traitement, faute de motivation, de bénéfices perçus ou de suivi régulier.

Comment améliorer cette observance ?

A.J. : Il faut informer et impliquer. Mieux le patient comprend les risques de sa pathologie, plus il sera enclin à poursuivre le traitement. L’arrivée de la connectivité numérique permet de visualiser, via des applications, ses données de traitement : IAH résiduel, temps d’utilisation, fuites… Cela donne du sens et motive. Le retour d’information renforce l’engagement. Il faut aussi rappeler que la PPC, contrairement à un médicament, n’a pas d’effets indésirables : c’est une thérapie mécanique, avec un profil de tolérance excellent.

Quelles sont les dernières innovations dans ce domaine ?

F.L. : Les machines sont aujourd’hui plus compactes, silencieuses, intelligentes. L’avenir se dessine autour de l’adaptation ultra-personnalisée grâce à des algorithmes embarqués, capables d’ajuster automatiquement la pression selon la respiration du patient. Des projets médicamenteux sont aussi à l’étude, mais à long terme. L’enjeu reste surtout d’améliorer l’acceptabilité, l’usage, et la continuité du traitement.

Peut-on mieux dépister en officine ?

A.J. : C’est un levier majeur. On estime que 80 % des patients souffrant de SAOS ne sont pas diagnostiqués. Pourtant, ils passent par la pharmacie : fatigue, somnifères, comorbidités… autant d’occasions pour le pharmacien de questionner, sensibiliser et orienter. Des outils de repérage simples existent, utilisables au comptoir. Le pharmacien peut aussi accompagner le suivi, questionner l’observance, maintenir la motivation dans le temps.

Existe-t-il des préjugés à déconstruire auprès des professionnels et des patients ?

F.L. : Absolument. Le profil-type du ronfleur en surpoids, homme de 60 ans, ne reflète pas toute la réalité. Les femmes, surtout post-ménopausées, sont autant concernées. Des jeunes adultes peuvent aussi être atteints. Il faut dépasser cette image pour dépister sans biais.

Un dernier message clé à destination des officinaux ?

A.J. : Oui : voyez la PPC comme un traitement vital. La dernière méta-analyse que nous avons publiée dans The Lancet Respiratory Medicine démontre que la PPC réduit la mortalité toutes causes confondues de 37 %, et la mortalité cardiovasculaire de 55 %. C’est un impact comparable à certains traitements médicamenteux. Il faut considérer l’apnée comme une pathologie chronique à prendre en charge sérieusement — et le pharmacien a une vraie place dans ce parcours.

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