Mélatonine : épinglé pour un possible risque cardiaque ?
Une molécule naturelle devenue un réflexe du sommeil
La mélatonine, sécrétée naturellement par la glande pinéale, rythme nos cycles veille-sommeil. En pharmacie, on la retrouve dans de nombreux compléments alimentaires, souvent associés à des extraits de valériane ou de passiflore, pour “favoriser l’endormissement” ou “réduire le décalage horaire”.
Au fil des années, elle est devenue le produit phare des Français souffrant d’insomnie, d’anxiété ou de dérèglement du sommeil, parfois consommé chaque soir pendant des mois, sans suivi médical. Cette banalisation interroge désormais la communauté scientifique.
Une étude qui alerte sur le cœur
Lors du congrès annuel de l’American Heart Association (AHA) début novembre 2025, des chercheurs ont présenté les résultats d’une étude observationnelle portant sur 130 000 adultes insomniaques. Les personnes utilisant de la mélatonine depuis plus d’un an présentaient un risque d’insuffisance cardiaque supérieur de 90 %, ainsi qu’une hausse des hospitalisations pour cause cardiaque et de la mortalité globale (CNN Health, 4 novembre 2025).
Les chercheurs précisent toutefois que ces données ne démontrent aucun lien de cause à effet. L’insomnie chronique, la sédentarité, le stress ou des comorbidités cardiovasculaires pourraient expliquer en partie cette surreprésentation.
Mais le signal est jugé suffisamment préoccupant pour inciter à une surveillance accrue des usages prolongés.
Les experts appellent à la prudence, pas à la panique
« Il ne s’agit pas d’interdire la mélatonine, mais de rappeler qu’un complément actif n’est pas dénué d’effets », souligne un cardiologue cité par le Washington Post (3 novembre 2025).
Le principal biais de cette étude réside dans la nature observationnelle du travail, fondé sur des dossiers médicaux. Les chercheurs ne connaissaient ni les doses exactes, ni les formulations (comprimés, gummies, sprays), ni même si la mélatonine provenait de prescriptions ou d’achats en vente libre.
Aux États-Unis, comme en France, la consommation de compléments n’est pas systématiquement tracée, rendant les comparaisons délicates.
À l’officine : réévaluer les usages chroniques
Cette publication rappelle l’importance du rôle de conseil en officine, face à des patients souvent persuadés que “naturel” rime avec “inoffensif”.
Lorsqu’un client évoque un usage quotidien de mélatonine, il faut :
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Identifier la cause du trouble (stress, anxiété, travail posté, apnée du sommeil) ;
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Limiter la durée d’utilisation à quelques semaines, avec un sevrage progressif si besoin ;
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Surveiller les facteurs cardiovasculaires (hypertension, diabète, dyslipidémie, antécédents familiaux) ;
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Proposer des alternatives complémentaires, comme la phytothérapie sédative (valériane, aubépine, passiflore) ou des approches d’hygiène du sommeil (écrans, horaires, activité physique).
À noter : la mélatonine est contre-indiquée chez les femmes enceintes et allaitantes, les enfants sans indication médicale précise, et doit être utilisée avec prudence chez les patients sous traitement cardiovasculaire ou antiépileptique.
Un signal qui invite à repenser la “culture du complément”
Cette étude ne condamne pas la mélatonine, mais rappelle qu’elle n’est pas un substitut à une hygiène de sommeil défaillante.
Le message est clair : le recours systématique à une molécule hormonale, fût-elle naturelle, doit rester ponctuel et encadré.
En officine, cela renforce notre rôle d’éducateur du sommeil, capable de replacer le conseil dans une logique globale de santé : hygiène de vie, dépistage des troubles du sommeil, orientation médicale si besoin.
Sources :
– CNN Health, 4 novembre 2025 : “Melatonin supplements may be linked to higher heart failure risk”
– Washington Post, 3 novembre 2025 : “New study links melatonin and heart failure, but experts say don’t panic yet”
– American Heart Association Scientific Sessions 2025 (abstract, Chicago, novembre 2025)