Covid-19 : la Cour de justice de la République clôt son enquête sur la gestion gouvernementale
Une institution rare, compétente pour juger les ministres en exercice
La CJR est une juridiction d’exception, créée en 1993, dont la mission est précisément de juger les membres du gouvernement pour des actes accomplis durant leurs fonctions ministérielles. Son fonctionnement se distingue de celui des tribunaux de droit commun, ce qui explique pourquoi l’affaire a suivi une procédure spécifique, plus longue et plus complexe.
Les plaintes initiales, déposées dès mars 2020 lors du premier confinement, pointaient plusieurs défaillances supposées des responsables politiques : le manque de masques et de gel hydroalcoolique, l’activation tardive du centre de crise sanitaire au ministère de la Santé ou encore la décision de maintenir les élections municipales en mai 2020. Entre temps, la polémique s’était nourrie d’informations issues de différents rapports officiels, notamment ceux publiés par la commission d’enquête du Sénat sur le Covid-19 ou par la mission d’information de l’Assemblée nationale.
Les décisions sous la loupe : délais, masques, et maintien des élections
L’instruction a porté une attention particulière sur la question des stocks de masques. Début 2020, la France ne disposait plus de réserves stratégiques suffisantes, héritant selon certains témoignages d’une politique de santé publique moins focalisée sur la prévention de crises épidémiques. Les investigations ont cherché à déterminer si des manquements imputables à l’exécutif pouvaient constituer des fautes pénales.
Le maintien des élections municipales, finalement organisées partiellement en mars 2020 et reportées pour le second tour en mai, a aussi été vivement contesté. Beaucoup estimaient que réunir des électeurs dans les bureaux de vote augmentait le risque de propagation du virus. Les juges ont cependant considéré que les décisions gouvernementales de l’époque, prises sous la pression d’un contexte incertain, ne constituaient pas un manquement intentionnel justifiant des poursuites pénales.
Le cas Agnès Buzyn : d’une mise en examen à l’annulation par la Cour de cassation
Agnès Buzyn, qui avait quitté son poste au ministère de la Santé pour se présenter à la mairie de Paris, avait déclaré en janvier 2020 que « le risque d’importation du Covid-19 depuis Wuhan était minime ». Par la suite, elle avait été mise en examen en septembre 2021 pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Cette mise en examen avait toutefois été annulée par la Cour de cassation en 2023, la plus haute juridiction estimant qu’aucune obligation légale claire ne pouvait être retenue contre elle dans cette situation.
À compter de cette annulation, Agnès Buzyn, Édouard Philippe et Olivier Véran ont été placés sous le statut de témoins assistés, indiquant une absence d’éléments suffisamment graves pour une mise en examen. Selon les magistrats, la charge de la preuve quant à d’éventuelles fautes pénales ne s’avérait pas concluante.
Une affaire qui s’inscrit dans un contexte européen et mondial
La polémique sur la gestion de la pandémie ne s’est pas limitée aux frontières françaises. Dans plusieurs pays européens, comme en Italie, des enquêtes ont également vu le jour pour évaluer la réaction des pouvoirs publics face à la crise sanitaire la plus marquante du XXIe siècle. La question des décisions prises dans l’urgence – confinement, fermeture des écoles, stratégie de dépistage, vaccination, passe sanitaire – a alimenté un débat public d’une ampleur sans précédent.
En France, le Conseil scientifique, dissous en juillet 2022, avait eu pour mission de guider les choix de l’exécutif en émettant des avis non contraignants. Ces avis, publiés régulièrement sur le site du ministère de la Santé, ont contribué à documenter la prise de décision à des moments-clés (confinements successifs, campagnes de vaccination). Cependant, la CJR a conclu qu’aucun des éléments recueillis n’établissait, sur le plan pénal, une responsabilité formelle des ministres incriminés.
Une clôture d’enquête qui ouvre la voie à un probable non-lieu
La fin de l’enquête, officialisée le 28 novembre dernier, laisse présager un non-lieu. Les juges de la commission d’instruction de la CJR doivent encore rendre leurs conclusions, mais l’absence de mise en examen indique clairement que les charges retenues ne sont pas suffisantes pour engager un procès. Sauf rebondissement, les trois anciens membres du gouvernement devraient donc échapper à toute poursuite judiciaire, achevant un feuilleton judiciaire qui aura duré près de trois ans et demi.
Entre responsabilité politique et responsabilité pénale : un débat toujours vivant
Si la clôture de l’instruction écarte la possibilité d’un procès pénal, elle ne met pas un terme aux interrogations de fond sur la gestion de la crise. Plusieurs associations de victimes du Covid-19, ainsi que certains collectifs de soignants, soulignent qu’au-delà de la responsabilité pénale, se pose la question de la responsabilité politique. En effet, l’ensemble des décisions prises en 2020 et 2021 continue d’être débattu, notamment au regard des retours d’expérience publiés par la Cour des comptes ou le Sénat.
Certains responsables politiques appellent désormais à la création d’une agence dédiée à la coordination des crises sanitaires, s’inspirant par exemple du modèle existant au Royaume-Uni (Public Health England, remplacé depuis par UK Health Security Agency). D’autres plaident pour un renforcement des prérogatives du ministère de la Santé, afin d’anticiper plus efficacement les pandémies à venir.
Quoi qu’il en soit, la décision de la CJR s’avère déterminante pour clore le volet judiciaire national de la crise Covid-19. Elle interroge aussi la capacité de la France à concilier réactivité en période d’urgence sanitaire et obligations légales pour les responsables gouvernementaux. La question reste ouverte : comment mieux préparer, à l’avenir, les pouvoirs publics afin d’éviter que de telles polémiques ne ressurgissent en temps de crise ?