AINS + IPP : protection gastrique utile… ou mésusage fréquent ?

Pourquoi co-prescrire un IPP ?

Les AINS augmentent le risque d’ulcère et d’hémorragie haute digestive par inhibition des prostaglandines protectrices de la muqueuse. Les IPP réduisent significativement ce risque chez les patients à haut risque et constituent le traitement préventif de référence. Mais dans la pratique, beaucoup de prescriptions sont faites « par réflexe », sans véritable indication.

Sont considérés comme à risque les patients de plus de 65 ans, ceux ayant déjà présenté un ulcère ou une hémorragie digestive, ou encore ceux recevant en parallèle un anticoagulant, un antiagrégant plaquettaire ou un corticoïde. Dans ces situations, si l’AINS est indispensable, un IPP à demi-dose (sauf l’oméprazole qui reste prescrit à pleine dose) doit être ajouté, puis interrompu dès l’arrêt de l’anti-inflammatoire.

Ce que l’IPP fait… et ce qu’il ne fait pas

L’efficacité préventive des IPP est bien démontrée pour les ulcères et hémorragies de l’estomac et du duodénum. En revanche, ils ne protègent pas l’intestin grêle ni le côlon ; certaines études suggèrent même une aggravation des lésions intestinales en lien avec une modification du microbiote. De la même façon, ils n’ont aucun effet sur les complications rénales ou cardiovasculaires des AINS.

Quel IPP, quelle dose, quelle durée ?

En prévention, l’IPP se prend à demi-dose (par exemple pantoprazole 20 mg, lansoprazole 15 mg, ésoméprazole 20 mg ou rabéprazole 10 mg), sauf pour l’oméprazole qui nécessite une dose standard de 20 mg par jour. Le traitement doit être arrêté en même temps que l’AINS. Si l’anti-inflammatoire a déjà provoqué une lésion, on prescrit un IPP à pleine dose pendant quatre à huit semaines, puis on réévalue. Dans tous les cas, une prise unique le matin avant le repas assure une efficacité optimale.

Alternatives et stratégies complémentaires

La première règle reste de limiter la durée et la dose des AINS : pas plus de trois jours pour la fièvre et cinq jours pour la douleur en automédication, toujours au cours d’un repas. Lorsque le risque gastro-intestinal est très élevé et le risque cardiovasculaire faible, le recours à un AINS COX-2 sélectif (comme le célécoxib) associé à un IPP peut être envisagé. Le misoprostol reste une option possible mais sa tolérance digestive médiocre limite largement son emploi.

Quand l’IPP devient un mésusage

Dans de nombreux cas, l’IPP n’apporte aucun bénéfice. Un adulte jeune sans antécédent ni traitement à risque n’a pas besoin de protection gastrique pour un court traitement par AINS. De même, un corticoïde ou un antiagrégant plaquettaire isolé ne justifie pas l’adjonction d’un IPP. Le problème tient donc à la banalisation de la prescription, qui entretient une consommation chronique et souvent injustifiée.

Attention aux interactions

Un point clé doit rester en tête : l’oméprazole et l’ésoméprazole diminuent l’efficacité du clopidogrel en freinant sa transformation en métabolite actif. Dans ce cas, mieux vaut recourir au pantoprazole ou au rabéprazole.

Conseils pratiques au comptoir

Devant une demande d’AINS, il faut d’abord se demander si ce traitement est vraiment indispensable, ou si un paracétamol pourrait suffire. Si l’AINS est retenu, il doit être prescrit ou conseillé à la dose minimale et pour la durée la plus courte, au cours d’un repas. La présence de facteurs de risque digestifs justifie alors l’ajout d’un IPP, mais uniquement pour la durée du traitement anti-inflammatoire. Enfin, la vigilance s’impose vis-à-vis des patients polymédiqués, notamment sous clopidogrel, pour éviter les interactions.

Points de vigilance IPP

Au long cours, les IPP exposent à des effets indésirables : hypomagnésémie, carence en vitamine B12, augmentation du risque d’infections digestives (notamment à Clostridioides difficile), colites microscopiques, atteintes rénales suspectées, sans oublier l’effet rebond à l’arrêt. Leur prescription doit donc toujours être réévaluée régulièrement.

À retenir

L’association AINS + IPP est justifiée chez les patients à haut risque digestif, mais elle n’a pas vocation à devenir systématique. Utilisée sans discernement, elle expose à une iatrogénie évitable et entretient la surconsommation chronique d’IPP. En officine, nous devons veiller à replacer chaque traitement dans son juste contexte, rappeler que l’IPP doit s’arrêter en même temps que l’AINS, et sécuriser la délivrance en cas de co-prescriptions sensibles.