Mobilisation des pharmaciens : interview exclusive avec Yorick Berger, porte-parole de la FSPF

Le modèle économique officinal vacille. En ciblant les remises sur les médicaments génériques, le gouvernement a fait de la pharmacie de ville une variable d’ajustement budgétaire. Alors que les médecins et kinés étaient également dans la rue, la mobilisation du 1er juillet a rassemblé plusieurs milliers de professionnels de santé. Mais ce mouvement historique n’a guère trouvé d’écho dans les grands médias. Pour Pharma365, Yorick Berger revient sans filtre sur les enjeux structurels de la crise et la stratégie de la FSPF pour rétablir l’équilibre.

Pourquoi la mobilisation du 1er juillet était-elle une mobilisation historique ?

Yorick Berger : C’était effectivement une mobilisation historique, rassemblant pour la première fois de manière coordonnée pharmaciens, kinés et d’autres soignants. Elle marquait un tournant dans notre capacité à agir collectivement pour défendre notre modèle de soins de proximité face à une politique budgétaire déconnectée des réalités du terrain.

Mobilisation historique, mais peu relayée par les grands médias…

Y.B. : Elle a malheureusement été peu relayée dans les grands médias, probablement parce qu’elle s’inscrivait dans un contexte saturé d’actualités, comme la canicule par exemple. Mais, il y a aussi une difficulté structurelle : les professions de santé sont très fragmentées, avec des syndicats multiples et des fédérations locales. Cela complique la coordination nationale et nuit à la lisibilité du mouvement pour les journalistes « grand public ». Pour y remédier, nous avons mis en place une « boîte à idées » à la FSPF, qui a permis de bâtir un plan d’action structuré, validé en conseil d’administration. Nous avons aussi intensifié notre communication auprès de la presse locale, des élus et des CPAM pour rendre visibles les conséquences concrètes de notre mobilisation.

Quelles sont les menaces de la baisse des remises sur les génériques pour les officines ?

Y.B. : Notre modèle économique repose sur des équilibres extrêmement précaires. La marge sur les génériques n’est pas un privilège, mais une bouée de sauvetage qui compense la faiblesse de nos honoraires de dispensation. Pour chaque ordonnance, nous sommes rémunérés quelques dizaines de centimes par ligne. Ce n’est pas suffisant pour couvrir les coûts liés à la sécurisation, la vérification, la logistique et le conseil. Les remises permettent de maintenir l’équilibre. Si on les divise par deux, on fragilise définitivement la viabilité économique des officines.

Quelles sont les actions concrètes menées par la FSPF cet été, et avec quels objectifs ?

Y.B. : Depuis le début de l’été, nous avons enclenché une série d’actions progressives, mais stratégiques. Grève des gardes d’abord, puis, depuis le 9 juillet, nous avons cessé la transmission des e-prescriptions. Nous avons également suspendu la remise des kits de dépistage du cancer colorectal. Pour anticiper une grève du tiers payant, nous avons réapprovisionné nos stocks de feuilles Cerfa. L’objectif est clair : montrer concrètement ce qui ne fonctionne plus quand les pharmaciens cessent de compenser les défaillances du système.

Espérez-vous faire pression sur l’Assurance Maladie ou Bercy avec des actions comme la grève de la e-prescription ou le recours au mode dégradé du tiers payant ?

Y.B. : Ce sont des signaux forts que nous envoyons. Nous cessons volontairement de réaliser certaines tâches que nous accomplissions jusque-là sans rémunération spécifique, comme la télétransmission d’ordonnances électroniques ou la gestion intégrale du tiers payant. Cela permet de mettre en lumière le rôle souvent invisible, mais crucial, des pharmaciens dans la fluidité du système de soins. En retirant ces services, nous faisons apparaître tout ce que nous apportons en matière de sécurité, de traçabilité, de prévention et d’efficience.

En quoi le chiffre d’affaires des pharmacies masque-t-il une réalité économique inquiétante ?

Y.B. : Nous délivrons de plus en plus de médicaments très onéreux, souvent à plus de 1 500 euros. Cela gonfle mécaniquement le chiffre d’affaires des officines, mais ces produits sont à marge nulle ou quasi-nulle. Notre résultat net, lui, ne suit pas. Parallèlement, nous avons de grandes difficultés à obtenir des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, qui sont essentiels à la santé publique mais moins rentables pour l’industrie. Ce déséquilibre fausse la perception de notre rentabilité réelle.

Quelle est votre position sur le développement des biosimilaires, souvent bloqués par le lobbying industriel ?

Y.B. : Les biosimilaires représentent une opportunité considérable pour maîtriser les dépenses de santé sans nuire à la qualité des soins. Mais leur développement est freiné par des stratégies industrielles de prolongation de brevets, de contentieux juridiques ou de désinformation. Le LEEM défend les intérêts de ses adhérents — ce qui est légitime — mais cela se fait au détriment du système. Quant au GEEME, il ne s’est pas engagé à nos côtés dans cette bataille. Résultat : les pharmaciens sont seuls à défendre une solution pourtant évidente d’un point de vue économique et sanitaire.

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