Rentosertib : la première percée clinique d’un médicament conçu par IA
Un développement éclair grâce à l’intelligence artificielle
Avec des délais de développement habituellement compris entre 10 et 15 ans et un coût moyen de plusieurs milliards de dollars, la mise sur le marché d’un médicament reste une entreprise à haut risque. L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) pourrait profondément rebattre les cartes. Insilico Medicine affirme ainsi avoir réduit à 18 mois l’identification préclinique de son candidat, en recourant à des outils d’IA générative, et finalisé les phases cliniques précoces (0/1) en moins de 30 mois.
Le résultat : une petite molécule, le rentosertib, inhibitrice d’une cible enzymatique identifiée par IA dans la fibrose pulmonaire idiopathique, la kinase TNIK (Traf2 and Nck-interacting kinase). Il s’agit de la première molécule d’une classe thérapeutique inédite, ciblant un mécanisme physiopathologique jusque-là inconnu dans cette pathologie.
Résultats cliniques de phase IIa : une sécurité globalement acceptable, un signal d’efficacité
L’étude de phase IIa, menée en double aveugle auprès de 71 patients chinois, a comparé trois posologies de rentosertib (30 mg/j, 30 mg x 2/j, et 60 mg/j) au placebo sur trois mois. Les profils de tolérance restent acceptables mais nécessitent vigilance, notamment en raison d’effets indésirables hépatiques et d’hypokaliémies observés dans les groupes actifs, avec un taux d’abandon global de 22,5 %.
Concernant l’efficacité, les données respiratoires apparaissent contrastées. La capacité vitale forcée (CVF) a légèrement diminué sous placebo (-20,3 mL) et sous rentosertib 30 mg/j (-27 mL), mais s’est améliorée avec la dose de 60 mg/j (+98,4 mL), notamment chez les patients ne recevant pas d’antifibrotique associé (+187,9 mL). Aucune amélioration n’était toutefois visible chez les patients combinant rentosertib et antifibrotique.
Ces résultats préliminaires, quoique modestes, suggèrent une activité pharmacologique différenciée, et justifient la poursuite du développement dans des essais de phase plus avancée et sur des populations plus hétérogènes.
Une validation de concept pour l’IA dans la découverte de médicaments
La publication dans Nature Medicine souligne l’importance symbolique de cette étape : c’est la première validation clinique d’un candidat médicament intégralement généré par IA, depuis l’identification de la cible jusqu’à la conception de la molécule. La technologie utilisée par Insilico Medicine inclut des modules de sélection de cibles thérapeutiques, de génération de structures chimiques, de criblage virtuel et d’optimisation pharmacocinétique, le tout orchestré par l’IA.
Ce jalon pourrait ouvrir la voie à une nouvelle génération de traitements, développés plus rapidement, à moindre coût, et avec une précision accrue dans le ciblage des mécanismes physiopathologiques complexes.
Quel rôle pour l’officine dans cette révolution IA ?
Si ces travaux relèvent encore de la recherche translationnelle, ils préfigurent des bouleversements dans l’écosystème du médicament. Pour les pharmaciens, la démocratisation de l’IA dans le développement thérapeutique appelle à une veille scientifique active et à une actualisation régulière des connaissances.
Les innovations à venir – comme celle d’un inhibiteur d’ENPP1 développé par IA, actuellement en phase I pour les tumeurs solides – pourraient aboutir à des médicaments aux mécanismes d’action totalement inédits. D’où l’importance, pour les officinaux, de comprendre les bases scientifiques de ces nouvelles approches afin de mieux accompagner les patients lors de l’arrivée de ces produits en officine, voire dans le cadre des essais cliniques ouverts à la ville.