Médicaments et canicule : quels réflexes avoir au comptoir ?
Adapter la vigilance officinale aux dérèglements thermiques
L’organisme dispose de systèmes précis pour réguler sa température, notamment la vasodilatation cutanée, l’élévation du débit sudoral et la redistribution cardiovasculaire. En cas de chaleur intense, ces mécanismes sont soumis à rude épreuve et peuvent se trouver dépassés. Lorsque s’y ajoutent les effets indésirables de certains traitements, le risque de décompensation augmente considérablement. Le pharmacien est à la première ligne pour repérer ces dangers, surtout chez les patients fragiles, polypathologiques ou polymédiqués.
Les diurétiques : entre bénéfice cardiovasculaire et danger d’hypovolémie
Les diurétiques, prescrits en premier lieu pour contrôler une hypertension ou une insuffisance cardiaque, deviennent potentiellement dangereux en contexte de canicule. Leur action augmente l’excrétion d’eau et de sodium, fragilisant ainsi le volume plasmatique. En période de chaleur, où les pertes sudorales sont déjà importantes, le risque d’hypovolémie aiguë et d’hypotension s’accroît. Cela peut favoriser des malaises, une insuffisance rénale fonctionnelle, voire des troubles électrolytiques sévères. Une vigilance renforcée est nécessaire, avec des rappels réguliers au patient sur la pesée, la tension artérielle et la surveillance d’éventuels signes de confusion ou de soif intense.
Médicaments néphrotoxiques : la menace du « triple whammy »
D’autres molécules fragilisent la fonction rénale, surtout si la perfusion baisse. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens, en inhibant la synthèse des prostaglandines vasodilatatrices, provoquent une vasoconstriction de l’artériole afférente, réduisant le débit de filtration glomérulaire. À l’inverse, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les sartans relâchent l’artériole efférente, ce qui abaisse la pression de filtration. Lorsqu’on associe ces médicaments à un diurétique, on cumule les effets hypovolémiants et vasodilatateurs, ce qui expose à une insuffisance rénale aiguë. Ce « triple whammy » est une combinaison redoutable, surtout par temps chaud, justifiant un repérage systématique au comptoir.
Anticholinergiques et neuroleptiques : la transpiration mise en échec
La sudation, principal levier de refroidissement, dépend d’une stimulation cholinergique des glandes sudoripares. Les médicaments anticholinergiques (antispasmodiques urinaires, antidépresseurs tricycliques, neuroleptiques) inhibent ce mécanisme, réduisant la capacité à transpirer et donc à évacuer la chaleur. Les neuroleptiques peuvent, en outre, entraîner un syndrome malin, tableau gravissime associant hyperthermie, rigidité musculaire et troubles neurologiques. Une alerte immédiate au prescripteur s’impose en cas de signes évocateurs.
Vasoconstricteurs et antimigraineux : quand la peau ne peut plus dissiper la chaleur
La vasodilatation cutanée est cruciale pour évacuer l’excès calorique. Certains médicaments comme les dérivés de l’ergot ou les vasoconstricteurs (par exemple pseudoéphédrine contre le rhume) empêchent cette dilatation en resserrant le lit vasculaire cutané. En limitant les échanges thermiques entre le sang et l’environnement, ils favorisent l’accumulation de chaleur corporelle, augmentant le risque de coup de chaleur, surtout chez les patients souffrant déjà de pathologies cardiovasculaires.
Perturbateurs de la régulation centrale : attention aux syndromes hyperthermiques
La régulation de la température repose sur l’hypothalamus, véritable thermostat de l’organisme. Certains psychotropes, notamment les antidépresseurs sérotoninergiques, peuvent perturber ce centre et déclencher un syndrome sérotoninergique avec hyperthermie et agitation neuromusculaire. De même, la prise d’hormones thyroïdiennes accroît le métabolisme basal et la production de chaleur. En période de canicule, ces médicaments amplifient le risque d’un emballement thermique potentiellement fatal.
Antihypertenseurs et risque de collapsus
Les traitements hypotenseurs, qu’il s’agisse de bêtabloquants, de dérivés nitrés ou d’inhibiteurs calciques, peuvent compliquer l’adaptation hémodynamique nécessaire en cas de chaleur. La vasodilatation physiologique induite par la température ambiante est en effet déjà responsable d’une baisse de la pression artérielle. Avec un antihypertenseur, le patient dispose d’une moindre réserve vasoconstrictrice pour se défendre contre la baisse de perfusion, ce qui augmente le risque de syncope et de malaise orthostatique.
Coup de chaleur : la fausse bonne idée des antipyrétiques
Il est fréquent que le patient propose de prendre du paracétamol ou de l’aspirine en cas de température élevée. Pourtant, lors d’un coup de chaleur, ces molécules sont inutiles, car la fièvre n’est pas liée à une réponse immunitaire mais à un défaut de dissipation thermique. Ces médicaments n’ont aucun effet sur la thermolyse et pourraient même aggraver un état de choc circulatoire. Seule une prise en charge hospitalière et un refroidissement externe rapide permettent de sauver le patient.
Une mission officinale de santé publique
Face aux vagues de chaleur, la vigilance du pharmacien est indispensable. Il lui revient de repérer les patients à risque, de revoir l’ordonnance si nécessaire, d’alerter le prescripteur en cas d’association dangereuse et d’éduquer au maintien d’une hydratation correcte, à la surveillance des signes de malaise et à la conduite à tenir en cas de coup de chaleur. Cette mission de prévention, au-delà du simple acte de dispensation, est plus que jamais cruciale pour protéger les plus vulnérables.