« Le microbiote joue un rôle clé dans l’éducation du système immunitaire »
Que sait-on aujourd’hui des rapports entre le microbiote intestinal et le développement du système immunitaire ?
Dès les premières secondes qui suivent la naissance, notre peau et notre intestin commencent à être colonisés par les bactéries de l’environnement en général, et de la mère en particulier.
Cela induit une réponse immunitaire au sein de l’intestin et aussi au-delà. Ainsi se construit progressivement une mémoire immunitaire, mais pas seulement. En effet, on sait maintenant que l’exposition tôt dans la vie aux bactéries, lors du sevrage, est un moment clé dans le développement du système immunitaire lui-même chez les mammifères.
Ce changement s’effectue au moment de la diversification alimentaire, autrement dit entre 4 et 6 mois. En effet, la composition du microbiote est déterminée de façon majeure par l’alimentation. Un point important est que ce changement est programmé dans le temps. Cet élargissement massif et rapide joue un rôle clé dans l’éducation du système immunitaire de l’enfant par rapport à son milieu, qui risque de se faire mal si elle survient trop tôt ou trop tard. Une exposition trop massive aux bactéries peut aussi entraîner une dérégulation du système immunitaire et des problèmes de maturation de ce dernier qui peut devenir aussi plus réactif.
Notre laboratoire travaille d’ailleurs sur les mécanismes impliqués dans l’éducation du système immunitaire par le microbiote, qui va déterminer à très long terme la réactivité de celui-ci, notamment en ce qui concerne la susceptibilité ou la résistance aux maladies inflammatoires (auto-immunité et allergies), aux infections et aux cancers.
A-t-on identifié des différences selon que le nourrisson est nourri au sein ou au biberon ?
On sait qu’il existe d’importantes différences entre le lait maternel et le lait de vache, et que sa composition varie avec le temps. C’est ainsi que le premier lait est jaune et très riche en acide rétinoïque qui va « booster » le système immunitaire dès la naissance. D’autre part, si au départ le lait maternel est très gras, il va devenir ensuite de plus en plus sucré, ce qui a un impact sur les bactéries hébergées dans le tube digestif. Il faut aussi citer la présence d’hormones dans le lait, ainsi bien sûr que des anticorps de la mère.
Pour autant, on ignore pour l’instant l’impact véritable d’une alimentation précoce par le lait de vache et si les enfants concernés sont plus susceptibles par la suite vis-à-vis de telle ou telle maladie.
La manière de manger influence-t-elle la composition du microbiote intestinal tout au long de la vie ?
En effet. Un changement d’habitudes alimentaires, par exemple une réduction des apports en légumes et donc en fibres – qui sont des prébiotiques – et une augmentation de la consommation de lipides, peut modifier la composition du microbiote et ainsi diminuer la production de certains métabolites bactériens possiblement importants pour le système immunitaire et le cerveau. Des chercheurs de l’INRAE ont d’ailleurs constaté que des maladies inflammatoires sont associées à une perte de diversité du microbiote intestinal.
Vos travaux portent, notamment, sur les interactions microbiote/cerveau. Quels sont plus précisément vos axes de recherche ?
Les travaux de notre équipe concernent, notamment, la manière dont le microbiote, en particulier intestinal, interagit directement avec le cerveau. C’est ainsi que nous avons montré que des fragments de bactéries sont « sentis » par certains neurones jouant un rôle dans la régulation du comportement alimentaire et la température corporelle.
Nous avons également mis en évidence que le microbiote d’animaux stressés libère moins d’acide arachidonique à partir de la nourriture, indispensable à la synthèse des endocannabinoïdes cérébraux, et que ces animaux développent à terme davantage de dépressions. Nous avons également montré la même chose pour ce qui est des sucres complexes provenant de parois bactériennes.
